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 d'un soldat (A.J.)
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Après la mort
Photographies (A.J.) : Alexandre JACQUEAU Portraits de soldats Le front Le combat Les destructions  

 

 

Laon, le 4 août 1914.

 

 

J’ai retrouvé hier André à la gare du Nord à 3 h.1/2 ; inutile de te dire qu’ayant tous deux le cceur bien gros, nous étions heureux de partir ensemble. Embarqués à 4 heures dans des fourgons à bestiaux, nous sommes partis à 7 heures de Paris et arrivés ici à 11 h. 1/2. Ah ! ce départ, la vue du vieux clocher et des cheminées de l’usine d’André, les vivats de tous ceux qui attendent le passage des trains militaires, les mouchoirs qui s’agitent. Ah ! Que de serrements de cœur. Arrivés ici, nous nous sommes séparés, André allant à la caserne Hédouville et moi au Palais de Justice. Là, oomme tout renseignement, l’on me dit que la Compagnie était logée de la rue du Cloître à la rue des Templiers. Débrouillez-vous, à minuit, dans une ville inconnue et où tout le monde est couché. Nous étions 4 et comme il nous était dur, surtout pour la première nuit, de coucher à la belle étoile, nous sonnions à toutes les portes. Mais, partout les locaux étaient occupés, ou bien l’on ne nous répondait pas. Finalement, à force de sonner, une porte s’ouvrit : c’était le presbytère. C’est donc là où je passai ma première nuit, dans un bûcher, sur une botte de paille. Deux heures de bon sommeil nous reposèrent. Aussi, dès le jour, j’étais dans la petite cour du presbytère et je constatais que j’avais passé m’a première nuit sous la protection du Christ, un crucifix étant à l’angle du petit cellier. J’ai pensé à toi, ma chère grande, certain que si tu le savais, tu en serais heureuse ; espérons que cette protection ne me quittera pas et que c’est de bon augure.

Ah ! Ma chère Suzanne, que de serrements de cœur, si l’on retourne en arrière, si l’on songe à tous ceux qui sont restés là-bas et que l’on aime tant et tant.

Ce matin, nous nous sommes équipés, ce n’est pas une petite affaire, je te prie de le croire, et j’ai eu bien du mal à le faire, quoique André m’ait aidé, mais il à peu de vêtements à ma taille, d’autant plus que tout est pris, en partie.

Nous venons de déjeuner tous les deux, assis sur les marches du presbytère.

André n’est pas équipé et reste ici au dépôt ; quant à moi, je pars ce soir ou demain pour une direction inconnue. Le moment du départ sera encore une nouvelle déception, car nous aurions été bien heureux de rester ensemble. Enfin, l’heure des épreuves est venue, et une de plus, une de moins, peu importe.

Ne te tourmente pas, ma chère petite femme, pas plus du reste que cette pauvre mère ; embrassez bien mes petiots pour moi et dites-leur qu’ils vous le rendent. Pensez souvent à nous, qui pensons souvent à vous, et surtout soyez fortes, ne vous tourmentez pas inutilement.

Allons, au revoir, ma chère petite femme, ne te décourage pas...

Allons, courage et ne désespérons pas.

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Quand aurai-je de tes nouvelles ? Quand et où me parviendront-elles ?

Voilà le plus dur.

   

 

 

 

Verdun, 6 août 1914

 

Nous sommes arrivés hier ici, à 9 h. 1/2 et après la soupe, sommes partis pour la ligne des forts. Nous couchons ici sous la tente et sur la dure.

L’esprit est excellent, je dirais même extraordinaire, pour nous tous, il nous semble que nous sommes en manœuvre et pourtant nous ne sommes pas bien loin les uns des autres.

André ne marchera probablement pas et restera à Laon. Je l’ai laissé en très bonnes mains, il couche chez M. l’Archiprêtre qui est charmant. Pour moi, ne te désole pas, je me porte bien. Nous garderons très probablement les forts, en tout cas, nous ne marcherons qu’en dernier ressort. Il n’y à rien de bien nouveau, Français et Allemands se regardent, du reste je ne peux rien dire, ma lettre ne te parviendrait pas.

Je pense bien à vous toutes et à mes chers petiots, priant Dieu de me garder. J’ai pleine confiance et suis plus heureux que jamais de ma conversion. Comment pourrais-je nier, après cette preuve de la bonté de Dieu...

Comme je serai heureux d’avoir de vos nouvelles, tu m’as certainement écrit, mais quand les recevrai-je ? Soignez-vous bien et prenez toutes les précautions, fortifie les enfants.

Nous nous trouvons ici quelques gradés ayant les mêmes idées, nous trouvons une grande satisfaction à nous réunir et y trouvons un grand réconfort ; je demandais certes, depuis longtemps, d’avoir la foi et Dieu m’a exaucé pour le bon moment ; Puisse-t-elle me soutenir, j’en aurai certainement bien besoin.

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Courage et confiance.

Priez pour moi.

 

 

 

 

Châtillon-sous-les-Côtes, 6 août 1914.

 

Si ce n’était l’exode de la plus grande partie des habitants, nous rencontrons partout un enthousiasme délirant, un accueil charmant.

Joli site, jolie campagne.

Nous reviendrons ici. Bonne santé, moral excellent. Ne te tourmente pas...

Je pense bien à vous. Que faites-vous ? Je m’ennuie bien de ne rien recevoir.

 

 

 

 

Châtillon-sous-les-Côtes, 9 août 1914.

 

Je suis toujours sans nouvelles et je m’ennuie bien de ne pas savoir ce que vous faites et ce que vous devenez. J’espère qu’il n’en est pas de même pour vous et que vous recevez les uns et les autres, les nouvelles que je vous donne journellement. Pour moi, ne t’inquiète pas, je suis très bien portant, et si ce n’était l’ennui d’être si loin de vous, le moral est excellent.

Nous sommes ici dans une très forte position. Verdun, hérissé de forts, de canons et de fusils, est absolument imprenable et nous espérons bien voir de quelle façon les Allemands recevront les prunes d’Agen que nous leur réservons. Ma compagnie est aux tranchées de première ligne, c’est un honneur dont nous sommes fiers ; ma section occupe une très forte position et la tranchée que je fais faire est presque un petit fort. Bien à l’abri, nous pouvons arrêter là un régiment et pas un homme n’arriverait jusqu’à nous. Quelle belle fricassée de pruscots nous allons faire, je l’espère bien, mais viendront-ils ?

Quelle brave population que ces gens de l’Est, nous leur mettons leur pays à sac et personne ne se plaint, donnant tout ce qu’ils ont. Nous ne manquons de rien, la troupe est bien nourrie et nous prenons goût au rata, au bouillon et au jus (café).

Nous pensons rester ici un bon moment, mais comptons bien, malgré tout, aller en Alsace et en Lorraine. Nous avons bonne confiance, quoique n’ayant aucune nouvelle de ce qui se passe.

Nous sommes tous animés d’une belle ardeur, sentant tous que nous défendons la bonne cause.

Ne craignez rien pour moi et ayez autant de confiance que j’en ai, tout va bien. Le seul ennui ici, c’est que nous dormons peu, le réveiI à lieu à 3 heures du matin et entre temps, le sommeil est coupé par des alertes.

C’est une vie très intéressante, je redeviens soldat dans l’âme.

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Hier, le Genéral, gouverneur de Verdun, à porté à la connaissance des troupes la belle défense de Liège et de Namur, le débarquement de l’armée anglaise à Calais, la prise des différents bateaux allemands, etc., mais, sur les armées françaises, nous ne savons rien, il n’est rien dit. Malgré cela, les hommes restent calmes et se contentent des on-dit. Nous avons eu avant-hier, à dix kilomètres d’ici, une compagnie de chasseurs à pied qui à eu 40 tués, mais les Allemands ont été repoussés du village d’Étain.

Tous les soirs, lorsque nous rentrons au cantonnement, la troupe ne peut plus sortir après 8 heures. Hier, comme je voulais aller prendre connaissance de la décision du Gouverneur, je me suis habillé en civil. Comme je lisais à la lueur d’une bougie, les officiers sont arrivés, ils ne m’ont pas reconnu et c’est moi qui leur ai fait la lecture de l’affiche. Je t’assure que nous avons tous ri, j’étais avec le propriétaire de notre cantonnement, qui est un très brave homme.

Tu vois, ne t’inquiète pas, nous n’avons qu’une crainte, c’est que les Allemands ne viennent pas jusqu’ici.

Je pense bien à vous, ma chère Suzanne, à toi, à mes petits, à Mère, à vous tous. Quand serons-nous reunis ?

Mais il ne s’agit pas de récriminer, nous défendons une bonne et sainte cause.

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11 août 1914.

 

Comme je voudrais avoir des nouvelles ce soir, une bonne lettre de toi me ferait le plus grand plaisir, mais puis-je l’espérer, enfin !

Les Allemands étaient à 15 kilomètres d’ici mais ont été repoussés par un bataillon de chasseurs Ces ... là se conduisent comme des êtres ignobles, ils sont indignes de compter parmi l’humanité.

À ..., deux jeunes gens ayant averti le Commandant d’un bataillon de chasseurs de leur arrivée, ils les ont fusillés. Le père de ceux-ci rentrant des champs et apprenant l’assassinat de ses enfants, guetta le colonel qu’il abattit ainsi qu’un autre offlcier. Impôt de guerre au pauvre village qui ne put le verser dans les délais voulus. Ces s...-là enfermèrent alors femmes, enfants, vieillards dans les maisons et y mirent le feu.

Toutes ces ignominies leur porteront malheur. Nos jeunes soldats sont animés d’une ardeur telle, que les officiers ne peuvent les retenir. Ils chargent à la baïonnette, à la grande terreur des Allemands. Lorsque le 166è nous vit arriver ici, ils étaient désolés de voir que nous occupions la même ligne qu’eux et un jeune caporal me dit d’un air navré : « Alors vous allez y aller avant nous ? »

La crainte ne sera pas justifiée, car ils vont partir prochainement. Depuis ce matin nous voyons défiler le 5ème corps. Il prend la direction de Metz. Je crois qu’il est question de donner l’attaque sur tout le front et de déformer leurs lignes ; néanmoins Metz étant considéré comme imprenable par la force, je crois que l’on ne s’y frottera pas ; sois sans crainte pour moi, nous resterons probablement ici et ne ma.rterons qu’après l’active et la réserve. Néanmoins nous comptons bien en démolir quelques-uns.

Hier, lundi, nous avons eu une petite cérémonie à l’église de Châtillon, elle a été très réussie, et nous aurons samedi une messe militaire, si toutefois les Allemands nous laissent tranquilles d’ici là. J’avais demandé au Capitaine l’autorisation d’y aller lundi ainsi que pour une quarantaine d’hommes de ma compagnie. Celle-ci nous a été accordée de suite ainsi qu’à l’autre compagnie territoriale. Nous aurons donc cette messe samedi à 9 heures, et puisque nous sommes si loin l’un de l’autre, nous nous rapprocherons par la prière. Comme je suis heureux de croire, ma chère Suzanne, je demande chaque jour à notre Bon Maître, de stimuler ma foi et de me rendre plus fervent. Quelle consolation j’y trouve, car il n’est pas d’instant où pensant à toi, à mes petiots, à tous ceux que j’aime, ma pensée et mon cœur ne s’élève vers Lui.

Oui, je pense bien souvent à vous et quand je songe que cette situation peut durer deux ou trois mois, je chasse rapidement cette idée car je n’ose y penser. Mais il le faut, et c’est avec résignation qu’il faut accepter ce sacrifice.

Par ici, la vie du pays est complètement anéantie, les habitants n’ont rien à eux, tout est réquisitionné. Il n’y à plus aucune circulation sur les routes, personne ne peut traverser les lignes. Ces gens sont admirables d’abnégation, ils sacrifient tout et se préparent à tout quitter lorsque l’autorité militaire l’exigera. Verdun est complètement évacué, femmes et enfants sont partis ainsi que tous les hommes non valides. Il ne faut pas nourrir des bouches inutiles, tous ces gens n’emportant que l’indispensable, casant leurs meubles dans une même pièce et laissant toutes les autres à la disposition de l’autorité militaire.

N’est-ce pas admirable et édifiant pour les autres ?

Aéroplanes et dirigeables passent continuellement au-dessus de nous se dirigeant vers la frontière, mais aucun appareil allemand.

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Et mes chers petits, pensent-ils quelquesfois à Papa ?

Ah ! Comme je voudrais savoir ce que vous devenez tous.

 

 

 

 

12 août 1914.

 

C’est de la tranchée que je t’écris. Je suis toujours sans nouvelles, espérant chaque soir en recevoir. Surtout, écris-moi chaque jour, cause-rnoi de toi, de mes chers petits, de Mère, des Courneuviens.

Tu sais que mon cœur est tout à vous, et ce qui vous touche m’intéresse vivement. Surtout aie du courage et aie oonfianœ, Dieu nous protégera. Je serais navré de te savoir sans énergie, d’autant plus qu’il nous faudra beaucoup de courage à. l’un et à l’autre. Soigne-toi bien, soigne bien les enfants, ne néglige rien pour que je vous retrouve tous en bonne santé...

Je me porte très bien et nous sommes très bien nourris, je n’ai pas encore touché à mes provisions, les gardant pour les mauvais jours...

Il y à quelques jours, ces sauvages de Germains, ayant eu deux uhlans tués en patrouille, le reste du régiment occupa les deux villages dont les habitants avaient été coupables de tirer sur eux, FIéville et Affleville, ils ont souillé les filles devant leurs Mères et ont mis le feu aux deux villages.

Voilà comment se conduisent ces maudits Teutons.

Heureusement que ceci ne durera pas, la mobilisation est terminée et nous allons marcher de l’avant...

C’est effrayant ce qu’il passe de régiments en ce moment, le grand coup ne saurait tarder. Nous avons été pendant quelques jours en mauvaise posture et les officiers craignaient une attaque brusquée contre Verdun. Mais sois tranquille, aujourd’hui il n’y a plus rien à craindre. Hier, nous avons eu la visite du Général Gouverneur Coutanceau. Il est très bien, paraît très capable, mais ne ménage par les officiers, c’est un homme très énergique.

Je finis ma lettre au cantonnement, je viens d’être appelé. J’ai reçu quatre lettres, tu peux juger de ma joie, celles de Mère des 7 et 8 et les deux tiennes dont la recommandée. Ai-je besoin de te dire que je les ai dévorées, puis j’ai été à l’église faire une bonne prière. Tu me dis de ne pas les oublier matin et soir, mais il m’arrive de les commencer et de ne pas les finir. Songe que nous passons nos nuits dans les tranchées ou bien nous sommes debout à 3 heures. Mais ceci n’a pas grande importance, Dieu me pardonnera, l’intention y est, de plus, ma pensée s’élève souvent vers lui et ceci chaque fois que je pense à vous.

En tous cas, sois tranquille, ma foi s’affermit chaque jour davantage et j’en éprouve une indicible joie.

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15 août 1914.

 

 

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Nous avons quitté Châtillon hier, à mon grand regret, et avons échoué aux casernes Chevert dans le camp retranché même. Ici il n’y à que casernes sur casernes, baraquements sur baraquements, tu ne peux t’imaginer l’importance de cette place. C’est absolument extraordinaire, tous ces forts, toutes ces redoutes, tous ces emplaœments de batteries, ces poudrières reliées par un chemin de fer spécial, par un téléphone. C’est d’une conception merveilleuse et qui donne confiance. Une grande action se prépare par ici et sous peu vous en entendrez causer, c’est effrayant ce qu’il y à de troupes en marche. Quelle activité ! Ce matin donc, nous n’avons pu aller à la messe ainsi que le capitaine nous l’avait promis. Nous avons dû aller faire de nouveaux travaux de protection. Nous nous appartenons peu, pour ne pas dire pas du tout, je l’ai bien regretté et aurais été heureux d’assister à la cérémonie que nous avions organisée à Châtillon. J’espère néanmoins obtenir une matinée du capitaine et je descendrai à Verdun qui est à une dizaine de kilomètres.

Il y a des moment, ma chère grande, où j’éprouve de la lassitude et du découragement, il me semble que tout s’effondre autour de moi, heureusement que cela ne dure pas. Malgré tout, il y à des heures bien pénibles, être si loin des siens et pour combien de temps. Ah ! Si cela est dur pour les jeunes, combien çà l’est davantage à nos âges. Mais la cause est si sacrée que cela redonne du courage et qu’on accepte le sacrifice.

Par contre, il y à des moments où l’on redevient jeune, l’on se croirait encore de l’active et l’on recommence les blagues du jeune temps.

Je pense bien à vous toutes, il n’y à pas d’instants où ma pensée ne s’envole vers vous. Quand nous reverrons-nous ? Quand et où ?

Ah ! Mon Dieu, ayez pitié de nous, que les malheurs de œtte guerre retombent sur œux qui l’ont voulue, mais épargnez-nous.

Embrasse bien mes chers Petits que j’aime tant et tant, cause-leur tout de même un peu de moi, il ne faut pas qu’ils oublient Papa...

 

 

 

 

17 août 1914.

 

Je suis absolument navré de voir que tu ne reçois toujours pas de mes nouvelles, il ne se passe pourtant pas de jour que je ne vous écrive aux uns et aux autres, car n’est-ce pas ce qui me rapproche un peu de vous tous que j’aime tant ? En tous cas, sois sans inquiétude lorsque tu recevras cette lettre, je me porte très bien, malgré les nombreuses ondées que nous recevons, mais nous redevenons jeunes, l’eau glisse sur la capote et le moral reste excellent. Nous soignerons nos rhumatismes (souvenir de la campagne 1914) en rentrant.

La mobilisation étant terminée et les jeunes troupes se portant en avant, notre rôle est actuellement moins important, occupés entièrement aux travaux de défense, tranchées, élagage, pose de pieux et réseaux barbelés, etc, mais, durant huit jours il eût pu en être autrement si les Allemands avaient eu l’audace de tenter la fameuse attaque brusquée dont ils nous menaçaient depuis si longtemps. Nous étions alors aux premières lignes et aurions sérieusement trinqués. Nous sommes fiers du rôle qui à été donné au 15è et sommes tous bien décidés à faire tout notre devoir. Mais maintenant nous cédons la place aux jeunes et nous ne marcherons très probablement qu’en dernier ressort. Sois donc sans inquiétude, car il ne manque pas de jeunes troupes devant nous. Tu ne peux t’imaginer combien ce pays à déjà souffert, la plupart des récoltes sont saccagées et par le passage des troupes et par les travaux de défense et de protection, toutes les haies gênant les champs de tir abattues, les bois également, tous ces arbres couchés à terre et aux feuillages flétris, donnent un aspect de tristesse indéfinissable ; ajoute à cela les barricades aux entrées du village, les maisons percées de meurtrières, tous les murs d’enclos ou de cimetière crénelés, tout cela sent bien la guerre. Mais toutes ces mesures ont été prises par précaution, nos troupes avancent et il n’y à aucun doute que les Allemands ne viennent jamais ici. Du reste, ils seraient bien reçus, je tassure ; cette place est inabordable et cette attaque leur coûterait cher.

 

- Tu as l’air de regretter que je n’aie pas emmené mon auto... À un avoué de Pontoise qui fit des démarches, il fut répondu que si l’on acceptait tous les automobilistes avec leur voiture, on priverait la France d’un corps d’armée de combattants... Et puis, il y à une chose qu’il faut bien se dire ; c’est que les tire au flanc et les embusqués sont déjà bien trop nombreux. Je ne serais pas fier du tout de passer pour un de ceux-là. Si j’eus accepté avant, très bien, mais chercher à m’éclipser je ne l’aurais pas voulu.

Ceci n’empêche pas, qu’au départ de Laon, lorsque j’ai appris qua nous filions directement et si rapidement sur Verdun, j’ai éprouvé un serrement de cœur indéfinissable. Du reste, je n’ai pas été le seul et cette sensation nous l’avons tous éprouvée. Quitter les siens le lundi soir, être équipés le mardi et partir dès le mardi soir pour les premières lignes et dans quelles conditions, c’était avouer que l’on avait bien besoin de nous. Sans reculer à faire son devoir, l’on n’en éprouvait pas moins quelquefois une certaine impression.

Enfin, comme je te le répète, tout va bien et soyez tous sans inquiétude à mon sujet.

Moi aussi, ma bonne Suzanne, je me demande quand nous nous reverrons ? Malgré tout, je ne crois pas que cette guerre dure longtemps, l’on travaille de notre côté avec méthode, tous les jours nous entendons le canon et cet après-midi, avec plus d’acharnement. Pour moi, le coup décisif ne saurait tarder. Je prie Dieu de donner la victoire à nos armes et je ne doute pas, à l’entrain qui nous anime tous, au souffle patriotique qui nous soulève, que le Bon Dieu est des nôtres.

 

 

 

 

20 août 1914

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Hier, comme nous étions au fort du Rozelier, et comme je cachetais la lettre adressée à Mère, tous les hommes se mirent à crier : « Un aéroplane allemand ». C’est un des premiers qui nous rend visite et il voulut la marquer en nous lançant deux bombes. Celles-ci tombèrent à 150 mètres de nous et une seule éclata, l’autre fut enlevée par les artilleurs. Décidément, Ces Allemands sont bien maladroits et leurs projectiles ne valent pas grand chose. Du reste, il était tellement haut qu’il lui était impossible de faire du bon ouvrage, les nôtres sont plus audacieux et ne ratent pas leur coup. Il y à quelques jours, deux aéroplanes conduits, l’un par un lieutenant, l’autre par un caporal, ont bombardé les hangars d’aéroplanes de Metz et les ont détruits. Tous deux ont été cités à l’ordre du jour, le lieutenant n’a pas tout à fait réussi, ayant eu une panne de moteur, cehui-ci à repris, fort heureusement et il à pu regagner la frontière ; le caporal, lui, à complètement réussi. Ils ont essuyé, disent-ils, 400 coups de canon qui ne les ont pas atteints.

Aujourd’hui j’ai vu mes notes sur mon carnet matricule, je te les donne sans aucun esprit d’orgueil, simplement par pure satisfaction personnelIe.

Manière de servir : Parfaite.

Instruction militaire : Très bonne.

Observation : Excellent sous tous les rapports, ferait un très bon officier de réserve.

Malheureusement ce temps est passé, je ferai tout mon devoir, mais je ne cours plus après les galons, d’autant plus qu’il est plutôt écœurant de voir toutes les manœuvres auxquelles se livrent tous ceux qui veulent se montrer.

Ils font comme la rnouche du coche, ils ennuient les hommes au lieu de les attirer par le cœur.

Avec des hommes de 36 à 40 ans, c’est plutôt ce qu’il faut chercher à faire. Ici la plupart sont très gentils pour moi, sur 266 tous ne me connaissent pas, mais il m’est arrivé d’entendre dire lorsque je passais : « Tiens, voilà le plus chic sous-officier de la Compagnie ».

Je t’avouerai que ceci m’a fait un plaisir énorme et j’en suis plus fier que d’un compliment du capitaine. Gagner le cœur des hommes, n’est-ce pas le plus sûr moyen de les faire marcher.

- Voilà dix-sept jours que nous nous sommes quittés. Combien faut-il qu’il s’en écoule encore avant d’être réunis ? Je ne peux pas y penser. Que pensent mes petits, songent-ils un peu à leur Papa ? Parle-leur un peu de moi, il me serait si dur de penser qu’ils peuvent m’oublier. Ma Madeleine, mon Jean.

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Je suis ahsolument de cœur avec vous pour le pélerinage à Lourdes, mais sans condition. Je n’ai jamais compris que l’on dise à Dieu « Accordez-nous ceci, nous ferons cela ». L’on ne doit pas marchander plus avec Dieu qu’avec la Très Bonne Sainte Vierge. Priez et efforcez-vous de mériter les faveurs que vous demandez. C’est peut-être là une idée toute particulière à moi, mais puisque l’on ne doit pas poser de conditions à un supérieur, comment peut-on admettre que l’on en pose à Dieu ?

Au revoir, ma chère Suzanne, je te quitte car demain nous partons à 3 heures. Je t’écris debout, éclairé par une bougie, songe si je suis bien...

Dimanche, j’irai à Verdun, j’espère avoir la permission d’assister à la messe pour tous les hommes de la Compagnie qui le désirent. Je communierai, n’ayant pu le faire le 15.

 

 

 

 

21 août 1914.

 

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Nous nous ennuyons beaucoup ici et voudrions bien ne pas y moisir. Nous n’avons pas une minute à nous, mais puisque ces c...-là se retirent, nous voudrions bien être de ceux qui les poursuivent.

Les travaux de défense ne nous intéressent plus.

 

 

 

 

22 août 1914.

 

Reçu ta bonne lettre du 20 qui m’a fait d’autant plus de plaisir que je me trouve un peu désemparé. J’avais obtenu la permission d’aller demain à Verdun pour assister à la messe avec une quarantaine d’hommes de ma compagnie. Aujourd’hui, elle nous est retirée, Verdun est trop éloigné. Pourtant ce réconfort nous serait bien utile. Enfin, c’est un sacrifice de plus, ce n’est pas le moment de les compter...

 

 

 

 

23 août 1914.

 

Comme tu as pu le voir par ma carte d’hier, j’étais absolument navré de la permission qui nous avait été retirée d’aller aux offices à Verdun. J’étais déjà plutôt triste, le canon tonnait depuis le matin par rafales et rien n’est plus démoralisant que d’être là, d’entendre de ne rien voir et de ne rien savoir ; ceci m’avait achevé.

J’avais compté aller me remonter et me réconforter. Dans ma détresse, j’adressais une fervente prière à Dieu, lui demandant de me procurer, de quelque rnanière que ce soit, le bonheur d’assister à la Sainte Messe.

Une demi-heure plus tard, en allant communiquer le rapport au capitaine je rencontrais dans le quartier un aumônier militaire à 3 galons, c’était un premier espoir. Ce matin, réveil à 3 heures. Comme d’habitude, nous nous préparions à partir, quand on fit passer l’ordre de rassembler les hommes qui désiraient assister à la messe. Je rassemblais, des quarante que nous étions la première fois, nous étions cette fois au moins 150 sur 266, rien que pour la Compagnie. Le canon tonne toujours. L’exemple et la proximité du danger avaient triomphé du respect humain. Le capitaine me dit de prendre 6 hommes et de me mettre à. la disposition de l’aumônier.

Nous cherchâmes un endroit isolé au sommet de la colline, à l’orée d’un bois, et là, ayant transporté une table et la cantine renfermant la chapelle de campagne (fournie par Son Excellence le Ministre de la Guerre) nous installâmes un petit autel. C’était absolument parfait, les capitaines amenèrent leurs compagnies ; malgré l’ordre tardif nous étions plus de 600, en carré, autour de ce petit autel illuminé. C’était un spectacle inoubliable et imposant, à gauche de l’autel, nous étions une trentaine pour chanter les cantiques. Oui, ce souvenir restera à jamais gravé dans nos cœurs, ce prêtre servi par un infirmier (prêtre), officiant au milieu de cette belle nature sous ce beau ciel, sous ce lever de soleil magnifique, tous ces hommes déconverts et agenouillés, oui, c’était un spectacle fort impressionnant et lorsque au moment du sermon, l’aumônier nous parla de la France, du mouvement patriotique qui la soulevait toute entière, nous exhortant à nous rapprocher de Dieu, à prier pour tous ceux, père, mère, femme, enfants qui à la même heure priaient aussi pour nous à l’église du village ou de la ville, tous les yeux s’emplirent de larmes et il n’y en à pas un qui ne s’essuyait les yeux. Oui, les cœurs étaient bien gros, surtout lorsqu’il dit que dernièrement dans une église, il vit une petite fille qui récitait son chapelet et lui dit qu’elle priait pour son papa et sa patrie. Bien fort aurait été celui qui n’aurait pas été troublé. L’émotion était à son comble. J’aurais voulu que vous puissiez voir ce spectacle et je ne saurais en décrire toute la gravité. Le canon tonne toujours et cette Messe se termine par un De Profundis pour œux qui tombent là-bas, sur la frontière.

Après l’office, j’aidai à démonter l’autel et l’aumônier me remit des médailles du scapulaire pour donner aux hommes qui la désiraient.

Depuis cette cérémonie tous les hommes me réclament, l’on cherche partout le sergent au pantalon blanc, c’est ainsi que m’appellent ceux qui ne me connaissent pas et qui ne sont pas de ma Compagnie. Je suis en effet le seul qui marche en pantalon de treillis n’ayant pas encore de pantalon rouge, que je ne réclame pas du reste.

Comme tu le vois, ma chère Suzanne, je cherche de plus en plus à me rapprocher de toi par l’entremise de Dieu. Du reste, ne t’ai-je pas toujours dit, du jour où je croirai, je ne veux pas être un tiède.

J’ai fait la connaissance de six prêtres infirmiers attachés au secteur. Ils disent la Messe tous les matins, dans la pièce qui leur est affectée et en cachette. Je pourrai y assister quand je voudrai, en les prévenant la veille ils m’avanceront l’heure et je pourrai communier avec quatre ou cinq de mes camarades. Voilà une grande consolation ! J’ai demandé à Notre Bon Maître une Messe, Il m’exauce et me donne plus que je ne lui demande. N’est-ce pas encore là une nouvelle preuve de sa bonté infinie. Je terminerai tout à l’heure, c’est l’heure de la soupe.

Je reprends ma longue et bonne causerie...

À 10 h. 1/2, nous recevons l’ordre de nous porter en avant, départ à 11 heures, il n’y avait pas de temps à perdre. L’instant est pathétique, le canon tonne à outrance. Mort sac est fait en 5 minutes et je vais à l’infirmerie rejoindre nos prêtres infirmiers. Là, je me suis confessé. Qu’on ne dise pas que cet acte soit sans grandeur, agenouillé dans cette chambre et devant ce prêtre soldat, j’ai demandé à Dieu pardon de toutes mes fautes. Je t’assure, ma chère Suzanne que jc l’ai fait de tout cœur et je n’ai pas été le seul à le faire.

À 11 heures rassemblement du régiment, le canon tonne toujours, le colonel se met devant le front et non sans émotion, nous dit : « Au revoir, mes enfants, bon courage et bonne chance ».

Décidément la journée est fertile en émotions.

Partis à 11 heures nous avons fait 6 kilomètres et maintenant nous attendons de nouveaux ordres. Le canon a cessé. Il s’agissait, paraît-il, d’une attaque de deux corps d’armée allemands, venant de Metz et qui ont été repoussés. Quand les verrons-nous donc ?

Je ne sais quand je pourrai communier, mais sois tranquille, je le ferai à la première occasion, demain matin si Dieu le veut.

Ma santé est très bonne, ne t’inquiète pas, et le moral est maintenant excellent, excellent.

Je suis bien prêt, tout à fait prêt et j’ai toute, toute confiance. Soi donc de même.

Comme je ne saurais trop te le répéter, nous ne marcherons qu’en dernier ressort, la preuve en est, c’est que nous sommes de nouveau arrêtés. Attendons de nouveaux ordres. Le canon a cessé.

Je pense toujours bien à vous, ma pensée est souvent en route pour St-D..., plus souvent qu’ici.

Dis à M... que j’ai gardé une médaille du scapulaire pour G..., je vais lui envoyer. Puisse-t-elle le préserver et lui porter bonheur. J’ai bien prié pour lui ce matin et de tout cœur. Le capitaine et le lieutenant m’ont aussi demandé des médailles...

 

 

 

 

24 août 1914.

 

Aujourd’hui j’ai eu le grand bonheur de pouvoir communier, ayant repris nos cantonnements d’alerte hier soir, j’ai été trouver les prêtres infirmiers et nous avons convenu que si nous n’étions pas partis, ils diraient une messe vers 3 heures. Cette nuit à 2 h. 1/2 j’allai réveiller 3 autres sergents de ma compagnie, 1 caporal et 1 homme. Bcn nombre d’hommes auraient certainement voulu faire comme nous mais il fallait que ceci passe inaperçu et nous ne voulions attirer aucun ennui à ces braves prêtres qui faisaient l’impossible pour nous donner satisfaction. Mon désir était tel, ma chère Suzanne, que je ne dormis pas de la nuit. Nous nous rendîmes donc discrètement dans la chambre des infirmiers et là, devant un petit autel organisé sur la table du réfectoire et éclairé par 2 bougies plantées dans des goulots de bouteilles, agenouillés sur la dalle, nous assistâmes à. la messe. Ce souvenir me restera à jamais gravé dans le cœur. Mon Dieu, que vous êtes bon et qu’ai-je donc fait pour que vous mettiez tant de complaisance à exaucer ma prière ? Dieu est touché de ma sincérité et c’est là certainement le motif pour qu’Il ait daigné se donner à moi de cette façon si imprévue. Oui, j’étais et suis heureux. Ne crains rien, ma bonne Suzanne, ma foi s’avive de plus en plus. N’envie pas le sort des maris de tes amies qui sont plus rapprochés et plus favorisés.

J’ai été un grand pêcheur, n’est-il pas juste que j’expie ? Dieu m’envoie cette pénitence et Il me la rend bien douce puisque, par la prière, Il m’accorde toutes les grâces dont j’ai besoin.

Le P. L. et M. M. D. ont parfaitement raison, il faut avoir toute confiance et ne pas t’inquiéter pour l’avenir de cette façon, il faut répéter chaque jour : « Cœur Sacré de Jésus, j’ai confiance en vous. »

- Le canon tonne sans discontinuer depuis cinq jours et nous attendons l’ordre du départ. Quand donc les verrons-nous, ces casques à pointe? Ils se conduisent de façon épouvantable et méritent un châtiment exemplaire.

Ils font marcher les femmes et les enfants de nos campagnes devant leurs troupes afin que nous ne puissions tirer sur eux... Aux environs de Spincourt, un pharmacien ayant aidé le maire de son village à quitter le pays, ils le fusillèrent sous les yeux de sa ïernme et de ses cinq enfants. Sur les champs de bataille ils lèvent la crosse en l’air pour se rendre et lorsqu’on est à 40 mètres d’eux, ils se couchent, démasquant ainsi les mitrailleuses qui fauchent tout. Ah ! Cette guerre, quelle horreur !

C’est un sauve-qui-peut général et continuel. Les villages de la plaine de la Woëvre sont sacrifiés, il faut amener ces canailles sous les canons de Verdun pour les écraser entre les deux mâchoires de la tenaille. Mais quel exode, c’est épouvantable. Dans leur- effroi, les enfants partent sans leurs parents et toutes ces charrettes où tous sont entassés pêle-mêle, offrent un spectacle effrayant. Les enfants réclament lenrs mères et celles-ci leurs petits. Arrivés à Verdun, tout ce monde est dirigé sur Beauvais ou Cornpiègne. Ici, il n’y à d’autres femmes que celles de la Croix-Rouge. Le spectacle est bien triste, atrocement triste et nous avons le cœur tenaillé.

Mais il ne faut pas nous plaindre, nous qui avons tous les nôtres à l’abri.

Ici nous avons des collègues dont les villages sont incendiés. Hier, je voyais un sergent qui pleurait, qu’avait-il ? Les Allemands avaient ligotté sa sœur devant sa ferme pour la voir incendier, lui-même avait appris que ses deux fermes avaient été brûlées et était sans nouvelle de sa femme et de ses deux fillettes. Ah ! Le pauvre garçon, comme je le plaignais, forcé de rester là et d’attendre.

Combien chaque coup de canon devait lui déchirer le cœur, Ah ! Oui, ne nous plaignons pas, songeons à tous ceux qui souffrent plus que nous.

De ces scènes, je t’en raconterais jusqu’a demain, nous assistons à tout cela, la rage au cœur et avec l’espoir de vaincre.

- Ne vous inquiétez pas, comme je te l’ai dit, le plan est certainement de les attirer dans la souricière, puis, lorsqu’ils seront tenus en respect par les forts de Vedun, les corps d’armées de droite de de gauche serreront la tenaille et je t’assure qu’alors nous les tiendrons bien. Nous avons des chefs énergiques et capables qui ont toute notre confiance.

Il n’y à lieu que d’espérer, cette guerre nous ne l’avons pas voulue, nous avons le bon droit pour nous. Il ne s’agit pas d’implorer Dieu hypocritement, tel que l’ont fait les empereurs d’Allemagne et d’Autriche. La France fut certes bien coupable mais elle défend une cause juste et Dieu sera pour le juste.

Voici le vaguemestre, je te quitte car demain où serons-nous?

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Vendredi 28 août 1914.

 

Depuis lundi je n’ai pu écrire, ni aux uns ni aux autres, car nous venons de passer là de rudes journées, mais tout s’est bien passé, la vaillance de nos petits troupiers et nos excellents canons de 75 ont triomphé de la discipline et de la merveilleuse organisation des Allemands. Ceux-ci ont été repoussés avec des pertes énormes et depuis mercredi nous n’en entendons plus causer.

Lundi, comme je te l’ai écrit, nous attendions l’ordre de partir et de nous porter en avant. Cet ordre parvint à minuit. Alerte et départ, nous allons occuper les tranchées en avant de Châtillon. Nous y arrivions vers 3 heures. Ma tranchée est malheureusement pleine d’eau, il y en à 30 à 40 centimètres de profondeur, mais la petite banquette que nous y avons faite, évite que nous nous mouillions trop les pieds. À cette heure matinale, ce bain de pieds n’avait rien de tentant.

Dès notre arrivée, le canon se fait entendre avec plus d’intensité, il n’avait pas cessé de la nuit... Enfin nous les attendons et cette fois nous espérons bien en descendre quelques-uns.

Nous avons alors l’ordre d’établir une autre tranchée plus fortement construite, avec abri contre les schrapnells. Celle-ci domine toute la plaine et nous allons assister à toute la bataille. Nous sommes à 3 ou 4 kilomètres au plus de la ligne de feu. Nous sommes là comme dans une loge et voyons tous les mouvements, distinguant le feu des batteries et le point d’arrivée des obus.

Ah ! Ces heures d’attente, au milieu du vacarme effroyable de la canonnade et de la fusillade, la vision de ces villages en feu et de tout ce que l’on ne voit pas, mais que le cœur devine, blessés, mourants ; de cet exode de paysans qui fuient apeurés, sans ordre, à peine vêtus, les uns pêle-mêle dans des charrettes vétustes (puisque toutes celles qui avaient quelque valeur ont été réquisitionnées), femmes poussant des voitures d’enfants dans lesquelles sont les derniers-nés, mais autour desquelles se pelotonne toute la nichée, vieillards poussant devant eux vaches et cochons. Ah ! Cette fuite éperdue, les lamentations de tous ces pauvres gens, les pleurs de tous ces petits que l’on voudrait prendre un à un et consoler de son mieux.

Ah ! L’affreuse vision.

Puis voici un convoi de vivres et de munitions qui s’avance et croise toutes ces misères. C’est tout Paris qui passe : Madeleine-Bastille, Clichy-Odéon, Gare du Nord, Boulevard de Vaugirard, le B. M., la B. Jardinière, Félix Potin. Et les lazzis, les quolibets reprennent. Eh ! sergent, je vous offre l’apéritif chez Pousset, puis nous prendrons l’autobus Gare du Nord pour aller prendre notre train pour St-D.

Ah, oui ! Mais quand?

Mais la fusillade se rapproche, les nôtres faiblissent, nous allons enfin donner. Vain espoir, l’artillerie est renforcée et notre petit canon de 75 fauche tout. En une heure, la plaine est nettoyée et notre infanterie les poursuit dans leur retraite, les fusillant comme des lapins.

Il est 18 h. 1/2, la voix du canon s’éloigne, les Allemands ont été repoussés à 15 kilomètres. C’est à ce moment que l’on m’apporte ta dépêche. Ah ! Ma pauvre Suzanne, comment peux-tu songer à venir jusqu’ici, ceci est d’abord impossible, le moment est mal choisi, puis arrivée en gare de Verdun, la prévôté te cueillerait et te ferait reprendre le premier train à destination de Paris... Moralement cette visite serait désastreuse et je t’avoue que ni les uns ni les autres nous ne la désirons, il faudrait repasser les mauvais moments de la séparation et cela ne ferait qu’amollir le courage dont nous avons tant besoin en ce moment. Et pourquoi, pour nous voir une heure, deux au plus. C’est que Chevert n’est pas Verdun, nous sommes ici en arrière des forts mais à 6 kilomètres au moins de Verdun où aucun de nous n’a le droit d’aller. Nous sommes en guerre, et nous ne nous appartenons pas. Il ne faut donc pas songer à ce voyage, je me porte à merveille, j’ai une vraie mine de turco, je suis plein de courage et d’endurance et suis entouré de bons camarades. Ne te crée donc aucun souci la séparation est déjà assez douloureuse, il ne faut pas encore l’aggraver par des tourments imaginaires. Aie courage et confiance, notre croyance doit nous y aider. Quant à moi, je me confie à Dieu et le remercie de l’épreuve expiatoire qu’Il m’envoie, mais plaignons de tout cœur tous ces braves gens qui pensent tout comme moi, sans avoir le même idéal.

- Je reprends mon récit :

La nuit vint donc et nous la passâmes dans les tranchées, sans fermer l’œil et sous une pluie battante. Nous étions trempés, mais étions si occupés par la proximité du danger et la vue des six villages qui flambaient devant nous (Spincourt, Foamois, Étain, Warque etc.) que nous n’y pensions pas trop, à part quelques rouspéteurs. N’était-ce pas un peu notre tour d’être à la peine pour permettre aux troupes qui avaient combattu et qui rentraient harassées, de se reposer?

Le soleil paraît enfin splendide et cela nous permet de nous sécher et de nous dégourdir (pas pour longtemps car la pluie reprend dans l’après-midi). Je fus alors commandé pour aller à Châtillon. Quel spectacle m’y attendait. Tous les régiments ayant combattu ou presque, s’y trouvaient pêle-mêle, blessés et hommes valides, l’un montrant la balle qu’il avait reçue dans le bras, l’autre dans la jambe, les autres montrant des ecchymoses produites par des éclats de schrapnellls, leshommes valides laissant voir leurs trophées, casques, sabres, épaulettes, coupe-choux, sac, marmites, fusils, etc... tous pleins de boue, dans un état de surexcitation inimaginable.

C’est encore là un tableau que je n’oublierai jamais.

En général, à part certains régiments qui ont beaucoup souffert, il y à peu de tués et les blessures sont peu graves, en général dans les membres. Quant à leurs projectiles d’artillerie, leur effet est loin d’atteindre celui des nôtres ; beaucoup d’hommes en reçoivent des éclats qui ne produisent que des meurtrissures.

Nos troupes se sont vaillamment conduites à part les régiments du Midi..., ces gens de T... n’ont que du bagou. Des exemples vont être faits et les hommes convaincus d’abandon de leurs postes, fusillés. Cet exemple est nécessaire et sera salutaire. Parmi le régiment d’artillerie, il s’est trouvé des hommes assez lâches pour couper les traits de leurs chevaux et abandonner ainsi leurs pièces et les servants qui fort heureusement ne sont pas tombés dans les mains des Allemands.

Ceux-ci ne vont pas y couper et peuvent s’apprêter à s’aligner le long du mur, ils l’auront bien mérité.

- Nous sommes restés ainsi aux tranchées 2 jours et 2 nuits sans donner, puis nous y avons été remplacés et sommes rentrés à Chevert.

Il nous à été cité des exemples de bravoure dignes des anciens ; heureusement que nous ne sommes pas tous de T... et de Tarascon

Mais ces régiments vont être doublement punis car ils vont être remis aux premières lignes. Je n’ai jamais eu beaucoup de confiance dans ces gens du Midi qui nous gouvernent depuis 30 ans ; j’en ai de moins en moins.

Je t’écris des travaux que nous effectuons en avant du fort de Moulainville

Tous les petits pays qui se trouvent au pied des forts doivent évacuer, et l’exode continue. C’est une mesure de prudence dont il faut féliciter le général gouverneur, mais c’est navrant.

Je viens de voir passer une femme tout en pleurs, elle n’a pas de nouvelles de son mari qui est parti et elle quitte tout, chargée de paquets, un nourrisson dans les bras et une petite fille de 3 ans qui se traîne à côté d’elle. C’est affreux.

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Ma lettre est bien décousue, je l’ai reprise plus de dix fois et ne sais plus ce que j’écris.

 

 

 

 

30 Août 1914.

 

Je t’écris un petit mot de la tranchée que nous occupons depuis 2 heures du matin. Ces messieurs les Teutons ont l’intention de nous rendre visite, nous les attendons patiemment. Le canon des forts nous prépare l’ouvrage pour le moment, mais je doute toujours qu’ils affrontent carrément la place. Ceci leur coûterait des monceaux de cadavres. Ils en ont déjà laissé suffisamment ces jours derniers dans leurs tentatives d’approchement.

Merci des bons vœux que tu m’as envoyés, c’était mardi la Saint-Louis et pour ma fête quelle salve de coups de canon, le Kaiser n’en à jamais eu autant.

 

31 août. - Nous avons passé la nuit dans les tranchées, le temps était beau et tout s’est bien passé. Ce matin le combat recommence avec plus d’intensité mais l’action se porte de plus en plus vers le Nord...

J’ai eu hier des nouvelles de G. Quel bonheur qu’il ait échappé au danger ! Je m’en réjouis avec tous et en remercie Dieu, mais prions chaque jour davantage...

 

 

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