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 d'un soldat (A.J.)
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Correspondance d'un soldat (A.J.) : Sommaire Préface 08
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Après la mort
Photographies (A.J.) : Alexandre JACQUEAU Portraits de soldats Le front Le combat Les destructions  

 

 

 

1er octobre 1914.

 

Tu ne m’écris donc plus de longues lettres, je n’ai qu’une malheureuse carte du 22 qui ne me dit pas tout ce que je voudrais savoir.

Mon Dieu ! Qu’elle m’a paru courte ! Écrivez, écrivez souvent, cartes qui arrivent plus vite et longues lettres, qui quoique plus lentes font tant de plaisir.

 

 

 

1er octobre 1914.

 

Les nouvelles se font décidément bien attendre de part et d’autre, ici quelques rares cartes, pas de longues lettres et pourtant combien celles-ci sont les bienvenues et quel plaisir l’on éprouve à parcourir ces pages où l’on sent battre le cœur de tous ceux que l’on aime. Ce matin j’ai aperçu M. D... il m’a dit avoir reçu une carte de sa femme lui disant que tu te plaignais de ne pas recevoir de mes nouvelles.

Nous sommes donc de même, ma pauvre Suzanne, et il faut accepter ce sacrifice comme tant d’autres. Sois tranquille je me porte très bien ne me ressens plus de la crise que j’ai eue la semaine dernière. Je suis tout à fait rétabli, ne t’inquiète donc nullement...

Déjà deux mois d’absence, et si seulement l’on voyait la fin.

Malgré tout, je crois bien que tout sera fini vers le 15 novembre, cette campagne nous épuise à tous les points de vue et les Allemands sont eux, dans un état beaucoup plus précaire que nous. Cela ne peut donc durer indéfiniment.

Ah ! Le retour ! Quand le verrons-nous poindre à l’horizon ?

Il me semble que je suis ici depuis deux siècles et qu’il nous faut encore tellement attendre après la libération qu’il vaut mieux ne pas y songer.

Néanmoins, crois-moi, le moral reste excellent et je suis plein de courage regrettant simplement qu’il ne nous soit pas plus demandé afin de hâter le dénouement.

- Madeleine va rentrer en classe, recommande-lui de bien travailler et à mon petit Jean d’être bien sage, surtout que Madeleine reprenne son piano et qu’elle apprenne bien ses exercices pour le jour où papa sera de retour.

- Prends bien soin de mes chers petiots que je les retrouve florissants de santé, quant à toi soigne-toi bien et ne te laisse pas anémier.

Si tu voulais me faire plaisir, vous vous feriez tous photographier ensemble, tu ne saurais le plaisir que j’aurais à vous avoir tous. Il me semble que les photographies que j’ai sont vieilles d’un siècle.

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2 octobre 1914.

 

J’ai eu, la nuit dernière, la bonne fortune de passer la nuit dans un lit avec des draps. Des draps, c’est un luxe que je n’ai jamais eu depuis le départ et quoique ayant déjà servis à un médecin-major (tu vois que l’on ne devient pas très difficile) j’ai pu m’y étendre délicieusement.

Je te vois d’ici faire la grimace, sois tranquille, j’avais gardé mon caleçon, mais j’ai enlevé mes chaussettes, tu ne saurais t’imaginer combien cela m’a paru agréable et combien j’ai bien reposé. Ceci, grâce au pêre D... qui est vraiment un bien brave homme. Dernièrement il m’avait donné 2 bons biftecks et la semaine dernière une côtelette de porc que malheureusement je n’ai pu manger à cause de ma dysenterie.

- Rien de nouveau ici, les attaques sont moins fréquentes.

Je me porte très bien pour le moment et la santé est de nouveau très satisfaisante, mais le froid se fait sentir de plus en plus et les nuits, surtout sur le matin, sont glaciales. L’hiver s’annonce précoce et n’est pas ce qui nous fait sourire le plus, d’autant plus qu’ici la température est fort différente de celle de Paris. Je comprends que les pioupious de l’Est se plaignent du froid...

- Aujourd’hui le canon se tait et nous trouvons ce silence bizarre, nous y sommes tant habitués. Ce village nous semble d’un calme inusité, plus de sifflement d’obus, plus d’éclatement. Nous n’avons plus à lever la tête pour voir de quel côté vont les obus. Que veut dire ce silence ? Nous qui nous attendions à un bombardement de Châtillon.

Au revoir, ma bonne Suzanne, j’espère avoir au courrier une bonne lettre de toi. Espoir, espoir...

P.-S. - J’ai été passer une heure à l’église ce matin. N’est-ce pas le premier vendredi du mois ? J’ai prié de tout cœur à votre intention et ai demandé à Notre Bon Maître de vous prendre tous sous sa protection.

 

 

 

3 octobre 1914.

 

Important mais vieux courrier hier, à part deux lettres, ta lettre du 21 et une lettre de Mme C... du 25. Remercie-la beaucoup ainsi que M. C..., je leur répondrai cet après-midi ou demain. J’ai reçu également des cartes du 7 de toi et de Mère, du 12 de Louise et du 15 de toi. Rien d’étonnant que ce courrier de la première quinzaine de septembre ne nous parvienne que maintenant ; à ce moment-là Verdun était privé de toute communication.

Il n’en est plus de même aujourd’hui, fort heureusement, les nouvelles qui nous ont été données hier étaient excellentes, le centre allemand complètement enfoncé. Espérons que le sol de notre chère France sera bientôt débarrassé de ces barbares. Ces maudits Teutons ont commis des atrocités abominables. Lundi dernier, nous avons eu encore un sergent blessé que nous n’avons pu ramener. Lorsque nous avons été le rechercher, nous n’avons plus trouvé qu’un affreux cadavre mutilé. Crâne défoncé à coups de crosse, yeux arrachés, une oreille coupée, le nez arraché, le corps traversé de coups de baïonnette. (Ce malheureux était venu du Canada pour faire son devoir.) C’est atroce et l’on se demande comment au xxè siècle, en pleine Europe, il peut exister de pareils bandits (ici ce sont les Bavarois, et quand l’on songe que lorsque nous ramenons ici des leurs blessés, nous les soignons et les entourons de tous les soins).

Lorsque ces brutes ont bu, ils ne connaissent aucune limite à leurs brutalités. Il faut que l’on connaisse bien ces faits afin de ne pas nous laisser attendrir bêtement, il faut chasser loin de nous ces sophismes, tel que celui-ci : Nous faisons la guerre au militarisme allemand et non au peuple allemand.

Par toutes les ignominies qu’il à commises, le peuple allemand s’est mis au ban de l’humanité, il ne faut pas l’oublier. Un chien enragé se tue, eh bien ! Ce peuple de sauvages doit être réduit à l’impuissance complète. En tout cas, n’oublions pas de soigner d’abord nos blessés et ne faisons pas de fausse sentimentalité, en traitant les leurs avec trop de prévenance.

Ah ! Oui, il faudra que nos enfants sachent bien toutes les horreurs commises par ce peuple ; oui, il faudra se souvenir. Ici, tous les environs ne sont que ruines et lorsqu’on passe dans un village, l’on est à se demander quel est le fléau qui à pu tout réduire ainsi.

Lorsqu’ils ont eu des leurs tués par nos troupes dans un village, ils y viennent en fous, pillent tout, fusillent les vieillards qui n’ont pu fuir et mettent le feu au village.

Ah ! Les êtres ignobles, qui s’attaquent à tout ce qui doit être respecté ici-bas.

- J’ai vu, par ta lettre du 21, que les heures passées à soulager les blessés qui arrivaient à La Courneuve vous ont profondément impressionnées, mais comment pourrait-il en être autrement ? Je le comprends trop bien. Il en est de même pour moi, lorsque je vois tous ces pauvres petiots qui suivent péniblement leur mère dans l’exode. Comment ne pas penser aux siens devant de telles désolations ?

À Haudiaumont, lors du bombardement de nuit, une pauvre vieille grand-mère qui avait la garde de ses 5 petits enfants, à été blessée avec 3 petits par un obus qui éclaté dans leur chambre.

Et toutes les misères, toutes les souffrances que nous ne connaîtrons jamais ! C’est pourquoi nous devons redoubler de prières et demander à Dieu la fin de cette affreuse guerre. Puisse la France ne pas payer trop cher les fautes qu’elle a commises. Demandons-lui d’armer nos cœurs de courage, d’inspirer nos chefs et de nous donner la victoire finale.

Je pense bien à vous tous, ma Chère Grande, quand nous reverrons-nous ? Quand verrai-je mes petiots, mes chers petiots ?

Ce bon temps viendra, espérons-le, et c’est alors que plus que jamais nous ne nous séparerons pas. Combien je suis heureux de ne l’avoir jamais fait et d’avoir dans mon cœur tant de bons souvenirs que j’égrène chaque jour ! Ah ! Les bons moments, les bons moments.

 

 

 

5 octobre 1914.

 

J’ai reçu hier ta bonne carte du 30, ainsi qu’un petit mot d’Henriette du 29, bienheureux d’avoir des nouvelles aussi fraîches. Le serviee se ferait-il un peu mieux ? Espérons-le, car malgré tout le plaisir que l’on éprouve à lire mêmes des lettres aussi anciennes que celles que nous recevions dernièrement, l’on ne peut réprimer un certain serrement de cœur en voyant la date de leur expédition.

Si M. Alhert m’envoie des journaux, je préférerais recevoir l’Écho de Paris. Depuis quelques jours, l’on nous remet à un autre sergent, à un caporal et à moi, le Journal, La Croix et l’Action Française, qui sont adressés à M. le Curé, celui-ci n’étant pas ici, nous en profitons.

Nous nous sommes unis à 3 sergents, le caporal fourrier et un caporal pour dire un chapelet. Nous en disons une dizaine chacun à l’intention de nos familles. Ne pourriez-vous en faire autant, il me semble que ce chapelet dit par nous, à peu près à la même heure, nous rapprocherait ; unis dans la prière il me semble que nous aurions plaisir à penser qu’à la même heure, la même action de grâces à Notre Bonne Mère monte du cœur de ceux que nous aimons tant.

Si vous voulez donc, nous dirons un chapelet avant 9 heures du matin, pour la France, pour nos morts et nos blessés, pour ceux qui se battent, pour tous les chers nôtres que nous aimons tant et demander à notre Bonne Mère de les prendre sous sa protection. Demande à Mère et à Paulette d’en dire une dizaine chacune, tu en diras toi-même une, ainsi que ma petite Madelon, qui est une grande fille, et moi je dirai l’autre.

Nous aurons un grand bonheur à nous sentir ainsi réunis, et à savoir qu’au même moment nous sommes unis par la même pensée.

- Hier, nous avons eu messe à 6 heures et à 9 heures, toujours par le curé de Spincourt. C’est un très brave prêtre. L’après-midi vêpres et chapelet.

Tu ne peux te figurer le nombre de soldats qui y assistent. Au début nous étions 25 à 30 par compagnie, aujourd’hui ceux qui n’y vont pas sont rares et il faut entendre avec quel cœur ils chantent tous le cantique au Sacré Cœur ; puis, au sermon, chacun y va de sa larme et tous sortent de l’église, ravis, heureux et réconfortés.

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J’ai oublié de te dire que j’avais communié le dimanche 27. J’ai pu également communier hier dimanche 4 et M. le Curé étant resté aujourd’hui, j’ai pu le faire de nouveau ce matin. J’ai bien pensé et ai eu le désir de le faire vendredi mais il n’y avait pas de prêtres ici.

Depuis trois dimanches, nous sommes privilégiés, nous avons deux messes à 6 et 9 heures, vêpres et chapelet à 2 heures (et pas d’alerte). J’ai assisté à tous ces offices, bienheureux de me rapprocher de vous par la prière.

J’ai communié comme je t’ai dit, hier et aujourd’hui, il y à deux mois nous avons fait de même à St-Denis-de-l’Estrée.

Si tu savais comme je remercie Dieu chaque jour, de la foi qu’Il m’a donnée.

J’ai commencé le chapelet ce matin. J’en dis souvent, mais il me semble que celui-ci dit à nous tous, sera plus agréable à notre Bonne-Mère.

 

 

 

7 octobre 1914.

 

Toujours bien portant, plein de confiance et le moral excellent. Journées bien occupées depuis deux jours et résultats heureux.

Je pense bien à vous tous et suis content chaque soir de dire : Encore un de moins, chaque minute nous rapproche du retour. Quel jour béni que celui-là et combien désiré ! Je suis tellement fait au régime qu’il me semble que je suis ici pour un temps infiniment long. Je me crois encore au service et rajeuni de 15 ans. C’est l’effet de l’uniforme. Néanmoins, inutile de te dire que la libération sera accueillie avec joie...

Reçu hier nombreuses lettres, bien heureux, écrivez souvent.

 

 

 

9 octobre 1914.

 

Je n’ai guère le temps de t’écrire aujourd’hui. Un petit mot pour te donner de mes nouvelles. Ne t’inquiète pas, je suis en très bonne santé et tout à fait rustique. Nous avons quitté le pays de M.-D., depuis deux jours et cet après-midi, nous nous transportons encore ailleurs. Tel que le colimaçon, nous traînons notre maison. Tout y est contenu, l’utile et l’agréable, garde robe, cabinet de toilette, garde-manger. Que peut-on rêver de plus ? L’existence est bien simplifiée. Quant à la chambre à coucher et la salle à manger, elles sont partout, et toujours agréables quand il fait beau. Néanmoins, il commence à faire très froid et je te prie de m’envoyer par la poste, deux bons caleçons en jersey fins et bien chauds. Les Allemands ne sont plus ici pour longtemps.

 

 

 

11 octobre 1914.

 

Depuis ma carte du 9 nous avons déménagé deux fois. J’ai reçu hier deux paquets... qui m’ont été apportés aux avant-postes où j’ai passé la nuit avec ma section à 500 mètres des Allemands. Je t’assure que nous avons ouvert l’œil et le bon, du reste je n’ai pas dormi afin de maintenir le calme et le sang-froid parmi tout mon monde. Tout s’est bien passé, du reste je t’écrirai aussitôt que possible plus longuernent.

Ne t’inquiète pas, je me porte très bien et le moral est d’autant meilleur que nous avons plus d’activité.

Je pense bien à vous tous, et demande à Dieu de vous conserver en bonne santé...

Nous sommes heureux de recevoir des vêtements chauds des nôtres car l’active seule en touche. Les nuits sont bien froides et il est grand temps de se munir.

 

 

 

13 octobre 1914.

 

... Nous venons de reprendre les avant-postes pour deux jours et nous nous sommes payés une bosse de rire. Avec le lieutenant nous venons de déguiser un sergent en femme. Nous en avons ri jusqu’aux larmes. Décidément, c’est là la caractéristique du métier militaire. C’est aux moments les plus pénibles que la gaité et l’insouciance réapparaissent. Je suis en bonne santé, ne t’inquiète pas à mon sujet. Tout va bien.

 

 

 

12 octobre 1914.

 

Comme je te l’ai écrit, nous avons quitté C..., le 8 à 5 h. 45, depuis ce jour nous avons eu le plaisir de déménager 4 fois et j’ai eu le grand bonheur de suivre et de soutenir les 2 bataillons de réserve des chasseurs à pied, commandés par le commandant Drianit. Voilà un chef, un véritable chef qui sait enlever ses hommes et s’en faire aimer. Depuis ce jour nous avons fait le service des avant-postes et comme je te l’ai écrit, j’ai eu l’honneur de prendre ce service avec ma section toute une journée et une nuit à 500 mètres de l’ennemi, j’étais au poste le plus rapproché d’eux et je t’avoue que j’en étais fort heureux, d’autant plus que les officiers m’y ont laissé seul, me donnant toute initiative. Comme tu peux le penser, étant si près les uns des autres, nous voyons parfaitement nos ennemis. Ces misérables brûlent et pillent tout et la nuit nous avons été éclairés par l’incendie d’une petite ville qui se trouvait à 4 kilomètres de nous, tu peux juger de l’intensité du brasier nous en entendions parfaitement le crépitement. C’est là que me furent apportés tes deux paquets. Mais j’étais tellement préoccupé de mon service, craignant une attaque de nuit, pour laquelle nos ennemis ont tant de prédilection que je ne les ai pas ouverts. Je l’ai d’autant plus regretté que sur le matin je claquais des dents. (Rien d’étonnant à cela, il faisait très froid et nous sommes restés immobiles dans les tranchées durant toute la nuit et Dieu sait qu’elles sont longues).

Les chasseurs à pied sont toujours dignes de leur renommée, on ne pourrait leur reprooher que leur intrépidité, les officiers ne peuvent les retenir, ils partent souvent avant que l’artillerie n’ait rempli son rôle et se sacrifiant parfois bien inutilement. Mais à la bonne heure, ce sont des braves et l’on à pas besoin de leur mettre le révolver sur la tempe pour les faire marcher, comme aux trop fameux soldats du Midi. J’espère bien qu’à ceux-là, les vérités seront dites après la guerre. Ils pourront fermer leur caquet.

À un moment de l’action, nous avons assisté à l’assaut de 2 pièces de 75 par une compagnie d’infanterie allemande. Ces 2 pièces étaient défendues par une vingtaine de chasseurs. La Compagnie allemande partit à l’assaut en rangs serrés par 4 au pas de parade et au son des fitres. Nos ennemis ne savent combattre qu’en rangs serrés et c’est ce qui explique le nombre considérable de leurs pertes. C’est le contraire du pioupiou français qui combat beaucoup mieux en ordre dispersé car il a besoin de toute son initiative. Malgré tout, cet assaut ne manquait pas de grandeur et je t’assure que l’instant était imposant.

A 200 mètres, nos chasseurs les accueillirent par un feu à répétition nourri, puis à 100 mètres, nos artilleurs n’ayant plus d’obus à mitraille, envoyèrent dans le tas des obus à milinite. Ce fut effrayant. Nos boches sautaient à 7 ou 8 mètres de haut et tous furent mis en pièces. De cette compagnie il n’en resta guère, je t’assure, et ceux-là ne demandèrent pas leur reste.

Sois tranquille, je me porte admirablement, suis toujours plein de confiance et bien heureux que mon rôle ne se borne plus à la stricte défense de Verdun. Je préfère de beaucoup ma place à celle de M. C... qui depuis deux mois et demi est enfermé au fort de Moulainville où je me trouverais si mal. En entrant dans ces forts, on y lit : « Mourir sous le fort, plutôt que de le rendre. » Pouah ! Je préfère, s’il le fallait, mourir sous le ciel. Cette existence oisive m’aurait fort déprimé, je préfère encore vivre dans les tranchées aux intempéries du temps.

- Hier, nous avons assisté à la messe dans une pauvre petite église de campagne. Tout y était naïf et primitif : église, statues, prêtre, messe et chants. Le prête, un brave vieillard de 80 ans nous fit un sermont de circonstance sur l’obéissance à Dieu, à nos chefs, mettant en opposition la conduite des excellentes troupes du Nord et du centre de la France avec celle des troupes du Midi.

- Les officiers sont très gentils pour moi, surtout le lieutenant. Quant au capitaine, fort difficile à prendre, j’ai su malgré tout capter sa confiance au grand étonnement de tous mes collègues et même du lieutenant.

J’en profite et j’use de ma petite influence pour être utile aux hommes et aux pauvres émigrés, obtenant pour ceux-ci des tolérances et pour ceux-là des laissez-passer, ce qui n’est pas toujours commode avec le caractère du capitaine.

Si tu voyais tous ces pauvres pays bombardés, pillés, brûlés, c’est effrayant à voir et combien triste, combien navrant. Ah ! Comme le cœur se serre devant tant de misères ! Quant à moi les larmes m’en viennent souvent aux yeux et c’est de tout cœur que je plains ces braves gens.

 

 

 

15 octobre 1914.

 

... Durant ces deux jours d’avant-postes tout s’est bien passé, mais ces canailles d’Allemands brûlent tout en se retirant, œ n’est partout qu’incendies sur incendies et combien de ces malheureux villages auraient été épargnés Si nos soldats du Midi n’avaient pas lâché ou pour mieux dire n’avaient pas fui.

À côté de cela on voit des exemples de volonté et d’énergie qui dépassent tout ce que l’on peut imaginer.

Avant-hier soir, aux avant-postes la sentinelle voyait arriver vers elle une ombre qui rampait. Halte-là, qui vive ! France. L’on s’approche et que voit-on ? Un malheureux soldat du 330è qui avait la jambe gauche brisée et labourée par un écIat d’obus. Cet héroïque soldat avait été blessé quatre jours avant à 5 kilomètres de là. Ne voulant pas être ramassé par les Allemands, il se ligotta les deux jambes ensemble afin que la jambe blessée ne le gênat pas et le fit moins souffrir, puis le jour, faisant le mort, la nuit il s’acheminait en rampant tel qu’un ver de terre, du côté de nos lignes. Ce malheureux fit ses 5 kilomètres en 4 nuits en se traînant ou s’aidant de ses bras et restant 4 jours Sans nourriture. Quel bel exemple de courage et de volonté !

Si tu voyais combien est triste l’aspect de tous ces villages abandonnés complètement. Ici c’est une maison qui a reçu des obus et dont les murs sont effondrés, à côté c’est une maison incendiée (quand le village ne l’est pas tout entier) ; tout le reste est pillé, à l’intérieur tout gît pêle-mêle, meubles brisés, linge, effets personnel ! C’est horrible à voir et navrant ! Photographies déchirées, couronne de mariée, brassards de 1ère communion, etc, et tant de petits objets auxquels on tient tant. L’église du petit pays que nous occupons à été complètement détruite par les obus, seuls les quatre pans de murs restaient droits. Chose curieuse, le Chemin de la Croix et presque toutes les statues étaient intactes. Avec un caporal, nous avons fait un bouquét dans le jardin du presbytère et l’avons mis au Sacré-Cœur, puis, ayant eu quelques heures de libre, nous avons été remettre un peu d’ordre au presbytère. Les Crucifix, les porte-images, les aubes, tout y gisait pêle-mêle avec les livres pieux. Sur la porte, nous y avons écrit l’inscription suivante: « Cette demeure est sous la sauvegarde de tout Français qui se respecte » Ceci en prévision du passage des gas du Midi, qui pillent au moins autant que les Allemands.

Ici nous vivons beaucoup sur le pays et tuons le bétail qui erre dans les champs, personne ne pouvant les soigner, cochons, veaux, vaches, tout y passe.

- Surtout, soignez-vous bien et veille à nos chers petiots. Quand nous reverrons-nous ? ? ? Le temps paraît vraiment long, 74 jours déjà. Quelle séparation, et quand finira-t-elle ?

 

 

 

16 octobre 1914.

 

Hier, grande joie, j’avais treize lettres et deux paquets de conserves dont je te remercie baucoup. Azor devient bien lourd. Je me porte très bien malgré le froid et les nuits passées à la belle étoile, dans les tranchées ou ailleurs. C’est une grâce dont je remercie le Bon Dieu chaque jour.

J’ai pu faire la Sainte-Communion ce matin, nous sommes dans le petit pays où nous étions dimanche, son église si simple, si primitive me plaît beaucoup, quant au vieux prêtre, c’est un brave et digne homme qui sait donner la bonne parole. J’ai été bien heureux de pouvoir communier aujourd’hui...

 

 

 

8 octobre 1914.

 

Vendredi, j’étais de garde lorsque je t’ai écrit, à midi j’ai été relevé pour aller prendre les avant-postes jusqu’à samedi matin, hier matin nous avons déménagé de patelin et de 11 heures jusqu’à 6 heures du soir, avons travaillé à établir de nouvelles tranchées et de nouveaux réseaux barbelés. Et depuis ce matin 5 heures je suis de nouveau aux avant-postes jusqu’à demain matin 5 heures. Le temps est triste et pluvieux et combien je regrette les dimanches même pluvieux de Chaponval.

La tranchée où je suis est moins confortable, je t’assure. Il est vrai que nous avons le plaisir de lorgner les Boches qui travaillent à faire des tranchées à 800 mètres de nous. Combien je rage d’être là, tapi derrière un mur de terre et de ne pas avoir d’ordre pour aller les déménager de là-bas avant qu’ils n’aient fini leur repaire d’où ils nous canarderont si bien.

Il doit vous sembler bien bizarre, à vous qui n’y entendez rien (ceci sans aucune méchanceté) que des avant-postes ennemis soient si près l’un de l’autre et qu’armés de fusils aussi précis que ceux que nous avons les uns comme les autres, nous n’en faisions pas usage et passions des journées entières à nous épier.

Nous sornmes en effet très près, suivant la nature du terrain, quelquefois à 4 ou 500 mètres, quelquefois 7 à 800 mètres ou bien à 1 ou 2 kilomètres. Je t’assure que cela manque quelquefois de charme, surtout par un temps pluvieux et humide, 24 heures sans bouger et en évitant, autant que possible, tout bruit, c’est dur pour les hommes et bien difficile à obtenir pour le gradé. Mais c’est bien là l’insouciance du Français, tant que les pruneaux ne tombent pas, ils n’y croient pas.

Comme tu peux en juger, pour de pôvres territoriaux, les fatigues ne nous sont pas épargnées et pour certains dont la santé est plus ou moins ébranlée, c’est quelquefois bien dur.

Pour ma part, je suis stupéfait de ma résistance, je porte mon sac très allègrement et pourtant Dieu sait ce qu’il pèse ainsi que ma musette qui est comble, archi-pleine. Je ne souffre nullement des pieds et mes douleurs et ma goutte me laissent tranquille et pourtant... et pourtant..., le régime n’est pas précisément celui qu’il me faut...

- Embrasse bien, bien tendrement mes chers petiots pour moi, combien je pense à eux et quand puis-je espérer les revoir. C’est vraiment long et quand verra-t-on poindre l’aube du jour du retour. Depuis mon départ, je vois tous les levers de soleil, mais celui-là auquel j’aspire le plus.

 

 

 

20 octobre 1914.

 

... Nous sommes en effet très pris et le peu de temps de repos que j’ai eu hier, je l’ai employé à emballer (pour être remis chez un prêtre des environs) les objets du culte de la petite église en ruines du pauvre village où nous sommes (Étain).

Comme je te l’ai écrit, je suis redescendu des avant-postes hier matin et j’y retourne ce soir. Où ? Je ne le sais pas encore. Un grand mouvement se dessine par ici et j’espère bien que nous allons avoir ces sales Boches.

Le lieutenant vient de me faire appeler, il voulait me proposer comme sous-lieutenant, mais il me faut changer de régiment, je lui ai dit que je préférais n’en avoir que la fonction et rester avec mes hommes. Je ne t’ai pas dit, en effet, que j’étais proposé pour adjudant-chef à la Compagnie, les nominations ici sont assez rares et c’est pourquoi je n’ai pas encore été nommé. À mon âge, je n’attache pas une grande importance aux honneurs, je préfère donc rester avec mes hommes et garder ma jfonction de sergent, chef de section, ce galon me suffit. Je fais mon devoir et cela est l’important. Si seulement c’eût été pour aller retrouver Georges au 27ème chasseurs alpins. Mais changer de régiment de territoriaux, se faire à de nouveaux chefs et ne plus avoir avec moi mes braves compagnons, non, décidément, cela ne me tente pas du tout.

Le temps semble bien long, et d’autant plus long que l’on ne peut prévoir la fin de cette guerre. C’est là le plus dur du sacrifice et il ne faut pas penser au retour avant plusieurs mois encore. Je te dis cela car il faut nous préparer à une plus longue séparation que celle que nous avions prévue.

Acceptons cette épreuve courageusement et demandons à Dieu la force de la supporter sans révolte et de nous garder sous sa protection.

Quant à moi, j’y suis tout préparé, le remerciant chaque jour davantage de la force et de la résignation qu’Il me donne par la prière. Je suis prêt à tous les sacrifices et le seul vœu que je lui demande d’exaucer, c’est de vous préserver tous, vous que j’aime tant.

J’ai tenu à te mettre ce petit mot car je ne sais si je pourrai le faire demain ou après-demain, en tous cas, sois certaine que je te le fais et le ferai aussi souvent que possible.

Au revoir, ma chère petite femme, embrasse nos chers enfants, ma petite Madelon et mon petit Jean comme je les aime et tu sais combien, ma bonne Mère et nos chers Courneuviens auxquels je pense tant aussi, et pour toi, en te souhaitant d’être confiante en Notre Bon Maître comme je le suis, je t’envoie tout mon cœur, toutes mes pensées et mes meilleurs baisers . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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J’ai communié ce matin et suis bien heureux de m’être uni à Notre Bon Jésus. Tu vois, ma conversion est bien complète et mon repentir bien sincère. Dieu qui est très miséricordieux pardonnera au pauvre pêcheur que je suis mes erreurs et mes fautes, car mon désir de les réparer est bien sincère.

 

 

 

23 octobre 1914.

 

Tu vois que tous les papiers sont bons pour te donner de mes nouvelles, papier à beurre, papier à dessin, etc...

Relevé hier des avant-postes je les ai repris ce matin pour deux grands jours, surtout deux interminables nuits. Ah ! Combien les heures paraissent longues par ces nuits noires ! J’en passe une bonne partie à dire du chapelet et ces heures-là seules me paraissent, courtes. Combien je plains davantage ceux qui vivent sans croyance et de ce fait souvent sans espoir !

- Dans le silence et l’obscurité que de bonnes heures de méditations j’aurai eues, heures qui n’auront contribué qu’à m’affermir davantage dans ma foi...

 

 

 

26 octobre 1914.

 

Entre les deux étapes que nous avons faites hier en redescendant des avant-postes, j’ai pu aller à la Messe et faire la Sainte-Communion. Comme tu le vois je me rapproche de mon Bon Jésus, aussi souvent que je le puis. J’éprouve une grande joie à le faire et c’est le seul compagnon auquel j’aspire dans mon éloignement. Lui seul me comprend, me console et me rend la séparation moins pénible.

Mon repentir est si sincère et mon amour pour lui si profond que j’ai le ferme espoir que le Bon Dieu me comptera parmi ses enfants et que si la mort venait à me frapper, tu n’aurais pas à chercher où je suis.

 

 

 

28 octobre 1914.

 

... Tu me dis que tu viendras me voir quand nous recommencerons la navette entre Verdun et les forts. Mais nous n’avons jamais été à Verdun, pour ma part je n’y ai été qu’une fois de 5 à 7 heures du soir. Quant aux forts, nous n’y avons jamais séjourné, mais nous y allons pour exécuter des travaux, c’est tout. Notre existence depuis trois mois, ne s’est passée que dans les tranchées et aux avant-postes (à part 15 jours passés à Chevert). Il est certain que beaucoup de femmes de territoriaux ont pu aller voir leurs maris, mais il faut te dire qu’il y à peu de régiments d’infanterie territoriale qui aient l’honneur d’être en première ligne comme le 15è. Cette idée de voyage est à abandonner complètement pour le moment car il est à peu près certain qu’aussitôt les Allemands chassés de la Woëvre, nous entreprendrons le siège de Metz.

Il faut accepter courageusement l’idée d’une longue séparation et cette séparation elle-même et ne mettre notre espoir qu’en Dieu. Tu sais que ceux qui mettent leur confiance en Notre Divin Maître, n’ont jamais lieu de désespérer.

Pour ma part, je Le remercie chaque jour davantage de la résignation et du courage qu’Il me donne, ainsi que de la santé qu’Il m’accorde, bien heureux qu’un accès de goutte ne vienne pas mettre obstacle à l’accomplissement de mon devoir.

En partant de Laon, le Colonel et tous les officiers considéraient le régiment comme complètement sacrifié. Dieu ne l’a pas voulu ainsi, remercions-Le donc de sa providence et remettons-nous entièrement à Lui. En ne le faisant pas, ce serait Le méconnaître.

 

 

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