Menu principal (vous vous situez sur les cases blanches) :
Accueil

1°Photothèque 14-18

2°Photographies/Lettres
 d'un soldat (A.J.)
362ème régiment !!! Contactez-nous !!! Liens (soumettez !)
et bibliographie
Évolution du site
Sous-menu :
Correspondance d'un soldat (A.J.) : Sommaire Préface 08
1914
09
1914
10
1914
11
1914
12
1914
01
1915
02
1915
03
1915
04
1915
05
1915
06
1915
07
1915
Après la mort
Photographies (A.J.) : Alexandre JACQUEAU Portraits de soldats Le front Le combat Les destructions  

 

 

 

 

LETTRE DU COLONEL BERGOT, du 362ème Infanterie

 

à Monsieur A. Ollier

 

_______

 

 

9 Juillet 1915.

 

                     Monsieur,

 

J’ai la profonde douleur de vous annoncer la mort glorieuse de M. le Sous-Lieutenant Jacqueau. Bien qu’aux termes des instructions en vigueur, cette douloureuse communication doive vous être faite par les autorités administratives, je ne veux pas vous laisser plus longtemps dans une incertitude angoissante, et quelque pénible que soit ma tâche, je crois de mon devoir de venir vous renseigner, en réunissant du fond du cœur ma douleur et celle de tout le régiment à la vôtre, à celle de sa pauvre femme et de ses pauvres enfants, à qui je vous prie d’exprimer les sentiments qui m’éprouvent.

Le triste accident s’est produit le dimanche 4 juillet à 8 h. 1/2 du matin. Pardonnez-moi si je n’ai pas eu le courage de vous écrire plus tôt.

Et maintenant que ma tâche si douloureuse est remplie, je me hâte de venir apporter à votre immense douleur, quelques éléments de courage.

D’abord ce fait que cette noble victime n’a aucunement souffert ! Il a été broyé subitement par une bombe dans son abri au poste de combat qu’il occupait à proximité de l’ennemi.

Puis cette déclaration solennelle que j’ai le devoir de vous faire, que M. le Sous-Lieutenant Jacques était un officier modèle, un homme de devoir remarquable, universellement aimé de ses chefs, de ses camarades et de ses soldats sur lesquels il exerçait un grand ascendant, par son courage tranquille, la noblesse et l’élévation de ses sentiments et de son caractère ! Ses enfants pourront être fiers de porter son nom.

Ensuite, cette assurance que je peux vous donner que ce vaillant chrétien a certainement reçu de son Dieu, dont il ne rougissait pas, et qu’il recevait régulièrement dans son cœur, la récompense suprême.

Enfin, il a été possible à ses camarades de lui rendre les derniers honneurs, et à un ministre de Dieu de bénir la tombe où il repose, dans un cercueil, dans le cimetière de Bras, près Verdun ; ce dernier renseignement doit, pour des raisons militaires, rester connu seulement de la famille, pour le moment.

Les quelques objets dont il était détenteur, vous seront adressés par le dépôt du corps.

Je vous prie d’être assuré, Monsieur, qu’en m’exprimant comme je viens de le faire sur le compte de ce vaillant officier, je n’ai fait que rendre hommage à la vérité.

Que Dieu vous donne la force et le courage nécessaires pour supporter ce douloureux sacrifice fait à la Patrie !

Veuillez agréer l’expression de Ma profonde et douloureuse sympathie.

 

 

 

 

LETTRE DU COLONEL BERGOT

 

à Mme Jacqueau

 

_______

 

 

20 Juillet 1915.

 

                     Madame,

 

Le lieutenant A..., que j’avais chargé d’aller vous présenter les sentiments émus et douloureux du régiment, m’apprend qu’il s’est acquitté de sa mission. Il me dit aussi que vous lui avez manifesté l’intention de m’écrire. Je viens vous supplier, Madame, de n’en rien faire, car ce serait raviver votre immense douleur, que de vous adresser à celui qui, le cœur brisé, a cru de son devoir de vous annoncer la terrible nouvelle.

Permettezmoi, au contraire, de venir vous exprimer à nouveau les sentiments que nous avons tous éprouvés et saluer encore la mémoire de votre chère victime.

Son pays vous laissera un témoignage manifeste de ses services et de son dévouement, vous recevrez, en effet, sous peu, par la voie administrative, la Croix de guerre qui lui a été accordée comme conséquence de sa citation à l’ordre des troupes du gouvernement de Verdun.

Ce sera un précieux souvenir pour vous et vos pauvres enfants et vous pourrez en être fiers ! À titre officieux, je vous adresse ci-joint une copie de sa citation ; l’exemplaire officiel, celui qui aura réellement de la valeur, vous parviendra en même temps que la Croix, par la voie administrative.

Je tiens à vous répéter à propos de cette Croix, que vous pouvez être assurée que votre cher mari porte en ce moment, près de Dieu, la Croix céleste des grands chrétiens et des martyrs, sans peur et sans reproches, tel il était sur la terre ; il communiait très fréquemment, chaque jour quand il pouvait, simplement, dignement, sans ostentation comme sans crainte et constamment il portait à son vêtement une petite médaille.

Il m’avait parlé de vous, Madame, il m’avait parlé de ses enfants et moi, qui suis Père, je me permets de dire à ceux-ci de garder précieusement au cœur, le souvenir de Celui qu’ils ont perdu, de le prendre comme modèle et comme exemple, et de rester toujours dignes de lui ! Qu’ils le remplacent auprès de vous et que leur tendresse et l’aide de Dieu vous donnent la force nécessaire.

Veuillez agréer, Madame, l’hommage de mon profond respect.

 

BERGOT.

 

 

 

 

LETTRE DE SON ORDONNANCE

 

_______

 

 

17 Juillet 1915.

 

                     Madame,

 

Je manquerais au plus élémentaire devoir, si, en présence des douloureux moments que vous traversez, je ne vous présentais mes compliments de condoléances, ainsi que les regrets bien sincères, que la mort de notre lieutenant Jacqueau me causent.

Ayant vécu un moment dans l’intimité de ce chef bien-aimé, j’ai pu constater avec joie le grand ascendant, ainsi que la merveilleuse autorité paternelle qu’il avait prise sur ses hommes, de tous, il était aimé, sa parfaite urbanité, son éducation remarquable, sa douceur qui n’avait d’égale que sa modestie, en faisait le chef idéal, à tous et pour tous il avait le mot consolateur, pour tous et à tous il savait redonner le moral absolument nécessaire en les circonstances, et combien fut grande l’émotion, la consternation qui se peignit sur tous les visages à l’annonce de sa mort. À mon point personnel, je n’oublierai jamais qu’il fut pour moi un père plutôt qu’un chef. J’aurai toujours en mémoire les mille services qu’il m’a rendus, les délicates attentions qu’à mon égard il a toujours eues resteront gravées dans mon cœur et veuillez en agréer mes remerciements bien sincères.

Chère Madame, c’est un devoir pour moi de rendre hommage au lieutenant Jacqueau, puissent les marques unanimes de sympathie, de regret, adoucir votre douleur.

Que cette mort glorieuse au service de la Patrie, vous donne grande consolation et laissez-moi espérer que le Très-Haut dans sa grande justice, a réservé une de ses meilleures places au digne serviteur de la France que fut le lieutenant Jacqueau.

 

 

 

 

LETTRE D’UN SOLDAT du 15ème Régiment d’Infanterie

(son 1er Régiment)

 

_______

 

 

14 Juillet 1915.

 

                     Madame,

 

Je vous adresse en mon nom et en celui de tous mes camarades, toutes nos plus sincères condoléances.

Nous avons connu, non sans une grande émotion, la mort cruelle de notre regretté M. Jacqueau qui était pour nous, non pas un supérieur, mais un grand ami, un noble cœur et un consolateur.

Je vous -demande pardon, Madame, de ne pas vous avoir écrit plus tôt, je ne voulais pas le faire, avant de savoir, par ma femme, que vous étiez avertie de cette triste nouvelle.

Nous avons prié tous, hier, pour le repos de cette grande âme, car un service a été dit par Monsieur le Curé de Châtillon, ici, et tous officiers et soldats y assistaient.

Je vous prie etc...

 

 

 

 

LETTRE D’UN AMI du 15ème Territorial

 

_______

 

 

19 Juillet 1915.

 

                     Madame,

 

Je vous demande pardon, avant tout, de venir, par cette lettre, raviver la douleur cruelle qui doit en ce moment vous étreindre, car je pense que vous devez être prévenue du grand malheur qui vous a frappé.

Mais vous me pardonnerez j’espère, quand je vous aurai dit que je viens remplir une promesse faite au camarade que j’ai le plus estimé et affectionné.

Mon pauvre ami, votre cher époux, Madame, m’avait depuis longtemps déjà, (dans le cas où il lui arriverait malheur) chargé de venir vous assurer qu’il était mort en bon et fidèle chrétien, espérant, s’il était possible, atténuer votre douleur par cette assurance. Il pensait déjà, le brave cœur, au moyen de vous consoler, même après sa mort, et cette noble pensée qui démontre si bien l’âme généreuse de celui que vous pleurez, vous sera, Madame, j’en suis convaincu, agréable à connaître.

Certes, je n’avais jamais envisagé la possibilité d’une pareille démarche, car j’avais toujours conservé l’espoir de revoir mon ami. Mais puisque Dieu en a décidé autrement, je vais encore, Madame, vous entretenir de celui que je pleure avec vous.

Nous avons vécu tous deux, pendant de longs mois, la vie la plus intime, car notre communion d’idées nous rapprochait encore et notre confiance mutuelle nous avait amenés à nous confier l’un à l’autre.

Je sais donc, Madame, la vénération profonde qu’avait pour vous mon ami et la tendresse dont son cœur débordait pour ses enfants. Vous étiez les sujets constants de ses conversations et vous pouvez être assurée que très peu d’instants ne s’écoulaient sans que, par la pensée, votre mari ne soit près de vous.

Néanmoins, l’amour profond ce ses chers absents ne lui à jamais fait oublier ses devoirs envers le pays et je le considère comme l’un des soldats les plus braves que j’ai connu. Toujours je l’ai vu prêt pour les besognes les plus périlleuses et les reconnaissances et patrouilles dangereuses, lui étaient le plus souvent confiées ; j’ajouterais même que son courage et sa prudence l’indiquaient presque naturellement aux yeux de tous.

Il était de plus, pour ses hommes, la bienveillance personnifiée et ici tous l’aimaient. Il s’en rendit bien compte d’ailleurs, quant à son départ du régiment, il vint faire ses adieux aux hommes de la compagnie rassemblés. Ces braves gens pleuraient de le voir partir et il ne put lui-même retenir ses larmes devant cette peine si touchante.

Aussi, quand la triste nouvelle m’est parvenue, j’ai cru de mon d’evoir d’écrire à un bon prêtre, que votre mari avait connu dans une circonstance assez critique, pour lui demander de venir dire une messe au front, afin de permettre aux hommes de la 3ème Compagnie de témoigner leurs regrets douloureux à celui qu’ils affectionnaient tant. Cette messe, pour le repos de son âme, eut lieu le 13 juillet, dans un local aménagé pour la circonstance et je puis vous certifier, Madame, que, sans exception, tous les hommes qui l’avaient connu étaient présents. Les indifférents, devenus certes beaucoup plus rares depuis la guerre, s’étaient, comme leurs camarades, fait un devoir d’assister à cette cérémonie qui fut poignante dans sa simplicité et dans l’unanimité des regrets des assistants. Notre pauvre ami a laissé ici, comme certainement à son nouveau régiment, un souvenir ineffaçable.

Nous ne sommes pas, Madame, qualifiés pour juger les actes de Dieu, mais si réellement Il a permis cette mort brutale, ce ne peut être que comme un sublime sacrifice pour les autres.

Votre mari avait d’ailleurs comme une intuition de mourir à la guerre. Depuis longtemps, il m’avait fait part de ses pressentiments et j’en étais assez touché, car je savais que ce n’était pas la crainte qui le faisait parler. Néanmoins, je cherchais à l’empêcher d’y croire et ne pouvais, moi-même, penser que ces pressentiments se réaliseraient. Il devait hélas ! En être ainsi, et je pleure aujourd’hui l’homme que, sans doute, j’ai le plus estimé.

Mais que peut être ma douleur près de la vôtre. La pensée de votre malheur m’est pénible, Madame, et si de parler de votre cher disparu pouvait être une atténuation à votre souffrance, je me ferais un devoir de me mettre autant qu’il vous plaira, à votre disposition.

Je vous prie, etc...

 

P...

 

 

LETTRE D’UN AMI du 15ème Territorial

 

_______

 

 

13 Juillet 1915.

 

                     Madame,

 

Vous voudrez bien permettre à un ami de votre cher, de votre estimable et si estimé mari, de venir vous en parler.

J’ai appris l’horrible nouvelle mardi dernier, mais comment vous en causer le premier et avant d’avoir l’assurance que vous saviez déjà la triste vérité.

Vous ne me connaissez pas, et je ne sais si lui vous a parlé de moi. Mais l’amitié que je lui ai vouée, et certains souvenirs me font un devoir d’essayer de vous exprimer quelques sentiments. Ce ne sera pas pour accentuer votre douleur, mais pour vous donner quelques détails qui puissent l’adoucir, si tant est qu’une peine comme celle que vous devez ressentir, puisse être adoucie.

Mais, je sais que vous êtes chrétienne. Votre mari l’était profondément, sincèrement. Je voudrais être éloquent pour vous parler de cela, mais je ne sais pas m’y prendre. Excusez-moi et permettez que je laisse aller ma plume, tout simplement.

J’ai aimé Jacqueau parce que nous partagions les mêmes espérances religieuses. Nous avons fait connaissance aux premiers jours, quand sur son initiative calme et simple, il nous donna l’occasion désirée d’aller à Châtillon à l’église, prier puis assister à la Messe. Alors nous parlâmes d’apostolat, de famille, de Dieu.

Nous nous fîmes des confidences, et je discernai vite combien il vous vouait une profonde affection ; avec quelle douceur il parlait de ses enfants.

Avec lui j’eus le bonheur de communier souvent, de réciter mon chapelet cet hiver entre deux tours de faction. Nous nous donnions rendez-vous pour aller voir le Grand Ami ; nous nous encouragions mutuellement; je l’ai vu faire de nombreuses charités ; j’ai vu l’estime des simples soldats grandir autour de lui ; je l’ai vu pleurer sur vous, sur son frère, ensemble, nous avons entendu siffler les mêmes balles sur nos têtes, pendant que silencieux, mais unis dans les mêmes pensées, nous recommandions nos âmes et ceux que nous aimons, au Bon Maître.

Bien des fois il est venu déverser son cœur dans le mien, et bien souvent, son exemple m’a encouragé au bien, à la patience.

Quand il partit au 362ème, nous nous quittâmes avec des larmes.

Le matin, avec quelques amis, nous l’avions invité à la Sainte-Table, priant et pour lui et pour sa chère famille. Nous vous avions bien recommandés, lui et vous, à la miséricorde de Dieu.

Il n’avait qu’une idée : faire son devoir, si pénible soit-il. Il me disait : « Je pars, qu’arrivera-t-il ? Que la volonté de Dieu soit faite ! Prie pour mes « Pauvres Petiots ». Je n’oublierai jamais avec quelle émotion il me dit ces mots, mais je ne sais comment vous décrire cela. En pensant à la douceur avec laquelle il les a prononcés, les larmes me coulent des yeux et je pense à celles que vous devez verser.

Et alors que vous dire. Une foule de souvenirs me reviennent, une foule d’idées se pressent. Depuis que je veux vous parler de lui, je me dis, je dirai ceci, cela, et vraiment, je ne sais plus.

Oh ! Le bon garçon que vous aviez comme époux.

Quelle belle âme ! Le bon père que vous perdez, pauvres petits.

Avec quel respect il parlait de vous, Madame, et il me semble que je suis un profane, un indiscret de vous rappeler ce que vous perdez.

Quel brave ami j’aurais voulu retrouver après les épreuves communes ! Nous nous étions tant promis de nous revoir.

Mais pour vous, quelle cruelle déception. Et comment vous parler avec assez de délicatesse et de force religieuse pour essayer de vous parler de résignation. Non, c’est lui, ce brave ami, qui peut seul vous consoler. Rappelez-vous tout ce qu’il à dû vous donner de doux et forts conseils à la fois. Lui qui était si persuasif pour donner à tous courage et confiance. Comme il devait être expressif, pour vous parler, dans ses longues lettres, de son affection, de nos espérances.

Quelle guerre maudite, que de deuils. Quand nous avons appris sa mort, un mouvement de révolte s’est fait en moi et en beaucoup de ses amis. Mouvement de révolte combien justifié. Mais alors, j’ai pensé que Jacqueau ne pouvait approuver cela. J’ai pensé que du Ciel, il nous voyait. J’ai pensé qu’il y est sûrement.

Quand tant d’abominations se font autour de nous, un si brave cœur peut-il être perdu à jamais.

Non, non, il vous voit, il vous suit dans votre peine. Le sacrifice si dur, si affreux qu’il a fait de vous quitter, vous et ses enfants, pendant onze mois, et la perspective de vous perdre tout à fait étaient bien pénible à son cœur ; mais jamais il n’a pensé que ce sacrifice était éternel, que la perte de ses aimés était définitive.

Ce n’est pas une vague considération que je vous fais pour vous consoler, non, c’est sa conviction profonde que je me permets de vous rappeler. Ce sont ses propres conseils que j’ose vous dire. Que le Bon Dieu qui sait tout vous parle et vous soutienne. Et maintenant que votre cher mari est près de Dieu, il ne peut vous parler qu’un langage divin.

Il a eu quelques mérites à ne pas désespérer, ne mentez pas à son mérite, malgré votre douleur, mais (excusez-moi), élevez votre âme vers Dieu avec confiance, et avec celui qui est maintenant, d’une façon certaine, le compagnon de Dieu, de Dieu qui connaît toutes larmes et toutes affections.

J’ai pris l’initiative de faire célébrer une Messe à l’intention de notre cher ami M. le sous-lieutenant P... qui l’aimait beaucoup, s’est mis en quatre pour la réalisation de l’idée, et ce matin, M. l’abbé B..., un excellent cœur de prêtre, victime des Allemands, exilé de sa chère paroisse, est venu dire la Messe à son intention, dans une pauvre grange. Avec quelques amis, nous avions disposé l’autel. Nous avons communié et demandé à Dieu de confirmer votre cher mari dans la paix céleste, et de vous protéger et de vous aider à souffrir votre peine.

Une modeste couronne de fleurs des champs, entourait sa protographie encadrée de soie noire. M. le Curé de Châtillon nous parla de ce cher ami qu’il avait eu l’occasion de connaître, de ce bon chrétien, de ce vrai Français, qu’il nous a offert comme exemple. Les larmes dans la voix, il nous a invités à vivre et à penser comme Jacqueau vivait et pensait. Tout le monde a souscrit à l’éloge de sa belle âme et il n’y avait pas que le prêtre qui pleurait. Notre Commandant, qui pourtant l’avait à peine connu, toute la 3ème Compagnie était là. J’étais heureux et fier de servir la Sainte Messe pour proclamer avec ma foi, l’estime profonde que j’ai pour lui.

Il n’y a que regrets, qu’éloges, que peines, quand on parle de lui. Madame, soyez fière, petits enfants, soyez fiers que l’unanimité se soit faite ainsi sur celui que vous pleurez.

Peut-être un jour, pourrai-je vous apprendre que j’ai été en pélerinage sur sa tombe. Il en a une convenable. Combien n’en seront pas là ?

Discrètement, mais sincèrement, je prends part à votre peine, mais au nom du cher disparu, laissez-moi vous dire : Courage, et à vos petits enfants, au nom de leur cher papa, laissez-moi leur rendre l’étreinte que dans notre amitié de soldats et de pauvres pères douloureux, nous nous sommes donnée. En son nom, permettez-moi de les embrasser. Qu’ils soient votre consolation comme il est leur exemple.

Excusez mes pauvres expressions et croyez, Madame, à mon douloureux respect.

 

P...

 

Je vous joins la copie d’une lettre du sous-lieutenant R... qui nous a appris la triste nouvelle.

 

_______

 

 

5 Juillet 1915.

 

                     Mon cher B...

 

T’ayant déjà écrit hier, pour te raconter la mort de notre ami Jacqueau, je ne puis attendre plus longtemps pour te renvoyer ces deux mots et te raconter très brièvement la pénible mission que nous venons de remplir, il y a une heure.

C’est celle d’accompagner à sa dernière demeure celui que nous pleurons tous, je te dis tous, car au 362ème, Jacqueau avait su s’attirer toutes les sympathies ; il n’avait que des amis, aussi, j’aurais voulu que tu puisses voir le nombre d’officiers assistant à ses obsèques. Je te dirai que notre ami a été inhumé dans le cimetière de Bras, après un magnifique service célébré à l’église paroissiale.

L’aumônier divisionnaire a retracé brièvement la vie militaire et les qualités de notre ami à l’église ; et le Colonel Commandant le 362ème a dit quelques paroles au cimetière ; ce brave Colonel n’a pu en dire plus, car il a fondu en larmes aussitôt.

J’avais tenu, moi aussi, à y assister, quoique ce soit déjà assez loin de notre cantonnement...

 

 

 

 

LETTRE D’UN SERGENT BRANCARDIER du 362ème

 

_______

 

 

1er Juillet 1916.

 

                     Madame,

 

Il y aura un an dans quelques jours, que la mort vous ravissant Monsieur votre mari, vous a si cruellement frappée. J’étais avec le lieutenant Jacqueau, lié d’amitié et je ne voudrais pas laisser passer ce douloureux anniversaire sans vous dire que son souvenir restera toujours vivant dans ma mémoire. J’avais appris à bien le connaître, je le savais bon fils, bon mari, bon père, excellent officier. Il avait un cœur d’or, il était adoré de ses hommes.

Je servais comme sergent, directement sous ses ordres et mieux encore que quiconque, l’ayant approché de près, je le connaissais. Nous nous comprenions si bien que souvent, en d’interminables causeries, d’homme à homme, nous ouvrions nos cœurs.

C’est vous dire combien je fus peiné lorsqu’il fut tué en brave à mes côtés, le 4 juillet 1915, et dans le régiment, la consternation régna.

Vous avez, l’an dernier, reçu les condoléances du capitaine B..., au nom de la compagnie et si, cette année, je me fais connaître, c’est perce que je suis un des rares « rescapés » de l’ancienne 19ème Compagnie, le régiment ayant été cruellement éprouvé le 21 février à Verdun.

Nous restons une poignée de la 19ème et moi-même n’ai dû mon retour dans les lignes françaises qu’à mon emploi de sergent-brancardier, auquel je fus appelé en décembre 1915, comme sous-officier fatigué après avoir, depuis août 1914, servi dans la Compagnie de Monsieur votre mari.

Persuadé d’être l’interprète des sentiments unanimes de mes camarades qui, échappés à la mort souffrent dans les camps allemands, permettez-moi, Madame, de vous adresser l’expression de nos condoléances et de vous assurer que nous garderons toujours un excellent souvenir de notre cher et regretté lieutenant Jacqueau.

Veuillez recevoir, Madame, l’expression de mes sentiments respectueux et dévoués et permettez-moi de vous demander de déposer en mon nom, au nom de la 19ème Compagnie, un baiser sur le front de vos chers enfants qui ont le droit d’être fiers d’un Père comme le leur. Gardez entier votre courage, il en faut plus encore aux femmes qu’aux combattants.

 

 

 

 

_______

 

CITATION

Ordre Général n° 115

du 13 Juillet 1915

_______

 

 

Le Général de Division, Gouverneur de Verdun,

cite à l’Ordre des troupes du Gouvernement Monsieur Jacqueau Alexandre, sous-lieutenant au 362ème régiment d’Infanterie.

 

« Constamment aux avant-postes, dans une tranchée très proche des positions ennemies et exposé à la chute incessante des bombes, n’a cessé de donner à tous, l’exemple du plus beau courage et du plus beau sang-froid a été frappé mortellement, par une bombe à son poste de combat. »

 

 

 

 

Suite de l'histoire de la famille d'Alexandre JACQUEAU :

 

Le décès d'Alexandre JACQUEAU est donc survenu le 4 juillet 1915 dans une tranchée du Bois des Caures, au nord de Verdun.

Son épouse Suzanne, née Duprat en1884 à Paris, a continué une bonne vingtaine d'années à tenir l'important magasin de quincaillerie déjà tenu par la génération précédente, situé à Saint-Denis. Son fils Jean l'y aida lorsque celui-ci fut en âge de la seconder. Elle se retira des affaires en vendant le fond de commerce un peu avant la seconde guerre mondiale, tout en continuant à vivre à Saint-Denis. Elle allait sur ses 77 ans lorsqu'elle décéda à Saint-Denis en 1961, après 46 ans de veuvage, à la suite d'une « attaque » survenue à son domicile. Elle fut enterrée au cimetière de Saint-Denis dans la sépulture de la famille Jacqueau où avait été ramenée la dépouille de son mari.

L'aînée des deux enfants, Madeleine, était née en 1907 à Saint-Denis. Elle épousa Léon D., un homme d'affaires, dont elle n'eut pas d'enfants. Elle tint aussi un commerce à Saint-Denis. Domiciliée à proximité de « l'église neuve », elle est décédée dans une clinique de Saint-Denis en 1990 à l'âge de 83 ans. Elle est inhumée en région parisienne, tout comme son mari décédé en 1974 à Saint-Denis.

Quant à Jean, né en 1910 à Saint-Denis, il a épousé en 1932 en la basilique de cette même ville Annette D.. Le couple eu six enfants dont trois nés à Saint-Denis, L. en 1933, P. en 1935 (dans le logement situé au-dessus de la quincaillerie), E. en 1936. Les trois derniers naquirent après la vente du fonds de commerce et l'installation de la famille à Deuil-la-Barre. Il s'agit des jumeaux M. et B. nés en 1939, juste après la déclaration de la seconde guerre mondiale, et de J.-M. né en 1941, après l'exode de la famille à Châtellerault et une tentative inaboutie d'installation à Vannes. La famille était alors installée à Deuil-la-Barre, non loin de l'église où s'est abattu un V2 allemand en octobre 1944.

Après la seconde guerre mondiale, la famille quitta alors Deuil en 1945 et partit s'installer avec en Champagne. Jean y repris un ancien magasin d'herboristerie. Annette tenait le magasin, pendant qu'il faisait de nombreuses tournées et vendait sur les marchés environnants. Rentrés tous deux en région parisienne en 1958, alors que leur commerce périclitait et que leurs six enfants étaient plus ou moins installés, ils obtinrent en 1959 un logement en région parisienne. Ils y restèrent de nombreuses années, jusqu'à ce que la vente de la quincaillerie, toujours en indivision avec Madeleine, leur permette enfin de se rendre acquéreurs d'un appartement à eux. Ils se retirèrent alors définitivement dans une commune voisine où ils achetèrent un appartement, en face du cimetière où ils avaient prévu d'être enterrés et à deux pas de leur fils M. qui habite cette même rue.

Victimes d'une collision sur autoroute avec une caravane allemande alors qu'ils partaient en vacances en 1986, Jean mourrut sur le coup alors qu'il n'avait pas encore 76 ans, dans le Loiret. Annette lui survécut moins d'un an et décèda à l'âge de 77 ans en 1987 dans une clinique de la région parisienne, des suites anesthésiques d'une intervention chirurgicale. Tous deux sont enterrés en région parisienne.

À ce jour, la descendance d'Alexandre représente douze arrières-petits-enfants, issus de Jean, et plus d'une vintaine d'arrières-arrières-petits-enfants (pour le moment).

 

Retour en haut de page