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 d'un soldat (A.J.)
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Après la mort
Photographies (A.J.) : Alexandre JACQUEAU Portraits de soldats Le front Le combat Les destructions  

 

 

 

4 Septembre 1914.

 

Depuis le 22 août je n’ai reçu qu’une carte, et pourtant mes camarades reçoivent des nouvelles tous les jours. Tu penses si cela m’est dur, néanmoins j’accepte ce sacrifice et me prépare à de plus grands. Surtout, ma chère Suzanne, sois calme, conserve tout ton sang-froid il faut plus que jamais être maître de soi-méme et de nos énergies dépend tout le succès. Ayez confiance, les cœurs sont hauts et fermes et nous avons la volonté de vaincre... Embrasse mes chers petits et dis-leur bien comme papa les aime. Tu en as la garde, surtout veilles-y bien.

 

 

 

5 septembre 1914.

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Surtout ne vous affolez pas et prenez froidement toutes les mesures que vous jugerez utiles. La situation quoique pénible, n’est pas désespérée, bien au contraire.

 

 

 

6 Septembre 1914.

 

Quel luxe, de l’encre !

Je t’écris... seul sous la tente... (non, ça, c’est la chanson), mais je t’écris en effet sous la tente où est installé le bureau et c’est pourquoi j’use de ce privilège.

Sois sans inquiétude à mon sujet, je me porte toujours comme le Pont-Neuf et quoique entendant tous les jours la canonnade, nous sommes ici toujours dans l’attente. Les Allemands nous dédaignent et nous en éprouvons quelque rancœur, mais notre tour viendra, je l’espère bien. Soyez surtout très calme quoi qu’il arrive, il faut avoir confiance. Nous défendons une cause juste et sainte entre toutes et Dieu sera des nôtre.

Il nous donnera la victoire. Celle-ci nous coûtera peut-être cher, mais nous l’aurons. J’en ai l’absolue certitude. La France qui a toujours défendu la cause des opprimés ne peut disparaître de la carte d’Europe ou être diminuée. Nous réussirons, mais prions, prions pour nous attirer la clémence de Dieu.

Donne bien confiance à. ma pauvre Mère, qu’elle ne désespère pas pour G...

Nous avons eu une messe militaire au camp ce matin.

 

 

 

8 Septembre 1914.

 

J’ai reçu hier ta bonne lettre du 20 qui m’a fait grand, grand plaisir, car depuis le 22 août, j’étais presque sans nouvelles. Quand en recevrai-je maintenant, et quand te parviendra cette lettre ? Mystère, néanmoins il faut avoir bon courage et confiance et ajouter ce sacrifice aux autres. Surtout ne vous découragez pas. Ici, nous avons confiance quand même. Cette horde de barbares nous submerge par le nombre, ce qu’il faut, c’est gagner du temps.

Chaque jour gagné nous assure davantage de la victoire finale. Entamés comme ils le sont chaque jour, laissant faucher leurs troupes sans compter, ces maudits Allemands courent vers la défaite. Malheureusement notre pauvre France supporte tout le choc et saigne de toutes parts. Mais nos troupes sont animées du meilleur esprit, et nous arriverons bien à bouter ces Teutons hors de France.

Depuis 2 jours nous entendons la canonnade et celle-ci recommence encore, les pertes de l’ennemi s’élèvent à 50 % (tant tués que blessés) en moyenne, de notre côté nous en avons certainement, mais le pourcentage d’hommes mis hors de combat est loin d’atteindre ce chiffre, car nos chefs, et de cela il faut leur rendre hommage, sont économes des existences qui leur sont confiées.

Aujourd’hui, je suis de garde au camp et dans le calme, les réflexions vont bon train, chaque coup de canon me déchire le cœur et quel nombre en a-t-on tiré depuis deux jours, c’est effrayant. Ah ! Si l’on pouvait doser toutes les souffrances, toutes les douleurs, toutes les misères dont cette guerre est l’origine, quiconque en mourrait d’épouvante. Quels remords pour ceux qui ont déchaîné ce fléau ! Comment l’existence leur est-elle possible?

Ah ! Ce vingtième siècle, siècle de progrès insensés, siècle ou les questions de mutualité, de fraternité, de concorde et de paix universelles furent plus que jamais à l’ordre du jour, à quoi avez-vous abouti ?

À ces guerres effroyables, à ces tueries dont l’histoire est sans exemple. Dérision.

Et cette science qui depuis 40 ans, s’acharne à détruire en nous toute croyance en Dieu, à quoi a-t-elle abouti ? Si ce n’est à inventer, à construire tout ce qu’il faut pour anéantir l’humanité, à apporter tous les perfectionnements imaginables pour mieux tuer son prochain. Qu’ont fait tous ces savants ? Qu’ont-ils donné à l’humanité? Des outils pour anéantir l’homme plus sûrement et plus rapidement. Les exceptions sont rares à la règle et s’il y en a, n’est-ce pas parmi les savants très croyants qu’on les trouve, tels que les Pasteur, Branly, etc, pour ne citer que ceux qui sont le plus présents à ma mémoire.

Que de pages à écrire sur ce sujet et que de leçons à méditer. Vous niez Dieu, pontifes de la science et propagandistes de la paix universelle, et toutes vos œuvres ne sont qu’œuvres de mort.

Ah ! Si tu savais, ma bonne Suzanne, combien je remercie davantage Dieu chaque jour de la foi qu’Il m’a donnée et combien je désire la sentir plus vive et plus forte. Quel bonheur, quelle satisfaction de voir et de sentir en tout la présence divine. Quelle consolation et quelle force l’on puise dans la croyance en un Dieu juste, bon et très miséricordieux. Quel encouragement, lorsqu’on sait que toutes les peines, tous les sacrifices ne sont pas inutiles, et qu’en les acceptant et en les supportant courageusement, l’on est agréable à notre Bon Maître.

Certes, il se trouve des hommes incroyants imbus de l’esprit de dévouement et de sacrifice, ceux-ci ne manquent pas et ils sont nombreux, mais comme je les plains de ne pas avoir le réconfort que nous avons.

Quant à moi je suis infiniment plus heureux depuis que tous mes doutes sont dissipés et c’est avec un bonheur que je ne saurais définir que je dis matin et soir : « Mon Dieu, je vous aime de tûut mon cœur, et j’ai confiance en vous. »

- Combien je pense à toi, à mes chers petiots, que j’aime tant et tant, à ma chère et bonne Mère, à vous toutes que je sens si vaillantes sous l’épreuve dont hélas ! Nous ne pouvons encore prévoir la fin.

Que disent, que pensent Madeleine et Jean ? Ma pensée, mon cœur sont sans cesse près de vous tous, et si je donnais libre cours à mon questionnaire, ces pages en seraient pleines. Soigne-les bien surtout, mes chers petits, et sois prudente. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

- Quant à moi, ne t’inquiète pas, je me porte très bien, et suis entouré de soins, qui, quoique masculins, n’en sont pas moins très appréciables et très touchants. Tous mes hommes sont pour moi pleins de bonnes intentions et je suis certain de ne jamais manquer de rien; si je les écoutais, il me faudrait manger dans mes 4 escouades et je suis souvent dans l’embarras, craignant de désobliger ou les uns ou les autres (et pourtant, il faut bien l’avouer, le rata ou la soupe n’est pas toujours très tentant).

Quant au café, j’en ai tous les matins 3 ou 4 quarts, ils m’apportent ma soupe, mon pain, m’offrent la goutte lorsqu’ils ont pu se la procurer, etc., va, je ne suis pas à plaindre et n’ai qu’à me louer de tous ces braves gens. D’ailleurs, j’éprouve un grand plaisir à vivre au milieu d’eux et je préfère de beaucoup leur conversation à celle de certains sous-officiers. Malgré leur esprit frustre, tous ces hommes, au fond, sont de braves cœurs, il suffit de s’intéresser à eux et aux leurs pour s’attirer leur confiance et être assuré de tout leur dévouement. J’éprouve une grande satisfaction à me rapprocher d’eux et je suis heureux, comme chef de section (60 hommes) de voir qu’ils ont tous confiance en moi et que le jour où il faudra marcher, ils me suivront. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Une partie du 15ème Corps est passée, il y à huit jours, à Châtillon, j’étais aux tranchées. Je me suis renseigné, mais le 27ème bataillon n’y était pas. Mon cœur battait cependant bien fort.

 

 

 

14 septembre 1914.

 

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Ici tout va bien et je me porte à merveille malgré le mauvais temps froid, brouillard et pluie, les rhumatismes ne se font pas sentir, c’est probablement là un régime salutaire. Ne t’inquiète donc pas, quant à moi, je prends tout du bon côté et comme dit le lieutenant : « À la bonne heure, Jacqueau à toujours le sourire. » N’est-ce pas là le plus important du rôle qui nous est donné Remonter le moral des hommes qui nous sont confiés. C’est tâche souvent assez difficile car à nos âges, les hommes n’ont plus le même entrain qu’à 20 ans et les intempéries ont beaucoup d’influence sur leur caractère. Plus que jamais, il faut savoir-vivre au jour le jour, je dirais même heure par heure, heureux si celle-ci s’est écoulée dans de bonnes conditions, confiant dans une heure meilleure si la présente est dure et pénible. J’espère que tu es toujours à St.D. avec Mère et les enfants. Je pense à vous tous que j’aimerais tant revoir. Quand cette heure sonnera-t-elle?

 

 

 

16 septembre 1914.

 

J’ai été bien, bien heureux d’apprendre que Mère avait des nouvelles de G... C’est un véritable soulagement de ne plus être dans l’attente et l’incertitude. Nous nous trouvons souvent ici avec des troupes du 15ème Corps et j’espérais toujours ou le voir ou avoir des nouvelles.

Hier j’ai eu de mauvaises nouvelles de B... Nous nous trouvons ici avec le régiment de réserve du 3è et j’ai questionné quelques officiers. Ce pauvre B..., aurait été blessé très grièvement et serait très probablement mort depuis. Tu ne peux t’imaginer combien cette mauvaise nouvelle m’a fait de peine.

Je pense bien à vous tous, mais la campagne s’avance et j’espère bien que nous serons réunis avant l’hiver...

 

 

 

18 septembre 1914.

 

Je ne veux pas laisser partir le courrier sans te mettre un petit mot. Ayant repos cet après--midi (c’est le premier) à la suite d’une reconnaissance fatigante, je vais en profiter pour t’écrire un peu plus longuement et t’en raconter tous les détails. Le temps est affreux et nous rentrons mouillés jusqu’aux os ; néanmoins, je me porte à merveille et je te prie de n’avoir aucune inquiétude à ce sujet.

Et vous tous, comment allez-vous ? Vous ne me quittez pas l’esprit, combien je serais heureux de vous revoir tous.

La privation de mes chers enfants, ma petite Madeleine et mon Jean, m’est particulièrement dure. Je dois bien l’avouer. Je m’inquiète bien pour tous, mais pour eux, davantage, car si jeunes ils sont sujets plus que tout autres à des maladies...

 

 

 

18 septembre 1914.

 

Comme je te l’ai promis par ma carte de cet après-midi, je profite du repos qui nous a. été accordé pour venir faire une longue causerie avec toi.

Nous avons eu repos et c’est le premier depuis le départ, à la suite d’une reconnaissance assez fatigante faite hier.

Depuis quelques jours, le général gouverneur avait prescrit des reconnaissances sur toute la ligne, composées d’hommes de bonne volonté de préférence. Je me suis fait inscrire de suite, bien heureux d’avoir l’occasion d’aller un peu de l’avant.

Nous sommes donc partis hier 55 hommes, 2 sergents et le lieutenant, avec mission de voir si Warcq était occupé par l’ennemi et d’en évaluer la force et la composition, sans toutefois nous laisser accrocher ; nous étions en effet trop peu nombreux pour tenter un coup de mains.

Partis hier à 10 heures du matin, par une pluie battante, nous sommes rentrés hier soir à 8 heures, par une pluie diluvienne, et d’autant plus trempés que nous avions dû traverser plusieurs fois de forts ruisseaux, mais l’eau du ciel eût suffi.

Précédés de deux patrouilles dont je dirigeais la marche, flanqués de deux petites flancs-gardes, notre petite troupe s’avançait de front, avec beaucoup de précautions, les hommes espacés de quinze mètres, lorsqu’une fusillade assez nourrie nous accueillit aux environs de Warcq. C’était le baptême du feu. Je t’avouerai que je m’attendais à un tout autre effet. Il faut dire que j’y suis préparé depuis plus d’un mois et, à part quelques-uns, nous eûmes la même impression. L’artillerie se mit de la partie et les obus, tout en nous faisant coucher, par prudence, ne nous produisirent pas l’impression à laquelle nous nous attendions.

Nous restâmes là une demi-heure environ, afin de pouvoir évaluer les troupes qui nous attaquaient et leur composition, et nous rebroussâmes chemin, n’étant pas de force pour attaquer et cette mission ne nous ayant pas été donnée. Le lieutenant était d’autant plus content qu’aucun de nous n’avait été blessé et qu’il nous ramenait tous. Ceci grâce à la disposition que nous avions adoptée. L’artillerie allemande nous poursuivit de son feu jusqu’à Herméville, où nous n’entrâmes pas, du reste ; bien nous en prit, car ce village fut bombardé. Ne te fais aucun tourment, ma chère et bonne Suzanne, Dieu seul est le maître de nos existences, et que je sois ici ou là, si la balle qui doit m’atteindre est fondue, elle me touchera. C’est pourquoi, du reste, j’aurais été content d’aller retrouver G...

Quant à moi, je suis très heureux de ma journée, cela à un peu rompu la monotonie de l’existence que nous menons ici, existence dure et pénible mais dont on n’apprécie pas très bien le résultat.

Je me porte toujours à merveille, malgré le lavage d’hier ; je ne me ressens de rien. Du reste, me voici tout à fait aguerri et je suis certainement le plus rustique de la compagnie. J’en remercie infiniment le Bon Dieu qui accueille si favorablement vos prières et les miennes...

 

 

 

20 septembre 1914.

 

Ce matin nous avons eu le grand plaisir d’avoir une messe ici par un curé d’un village voisin évacué. Nous avons donc eu la satisfaction de remplir notre devoir de chrétien et le bonheur de pouvoir communier. Combien je serai heureux de te faire connaître cette petite église où j’ai tant prié ! Ici, tout le monde me connaît et tous les habitants non évacués m’appellent sergent Jacqueau long comme le bras. L’on me confie les clefs de l’église et j’en ouvre les portes tous les matins.

Ah ! Combien je remercie Dieu de la grâce qu’Il m’a faite ! Cette foi tant désirée et qu’Il m’a donnée entière à été pour moi d’une grande consolation et d’un grand secours. Jamais, jamais je n’ai éprouvé le moindre découragement et la moindre défaillance. J’ai tout accepté, et de grand cœur, tous les sacrifices, toutes les privations, toutes les fatigues m’ont paru douces et faciles. Ma confiance n’a jamais été ébranlée et j’en ai remonté ici combien...

Comment pourrais-je assez remercier Notre Bon Maître et tous ceux qui y ont contribué par leurs prières ?

 

 

 

22 septembrc 1914.

 

Depuis ce matin trois heures, nous sommes sur le qui-vive. Alerte ! Quand sera-ce la dernière ?

J’ai reçu ta bonne lettre du 27 août, dans laquelle tu me reproches de ne pas t’avoir avoué que nous manquions de pain quelquefois et que nous n’avions pas de vin. Si nous n’en étions que là ! L’on voit que tu ne sais pas que l’eau est la boisson hygiénique du soldat, du reste, même avec de l’argent l’on ne peut en trouver. Dernièrement j’ai pu en avoir quelques bouteilles (3) à 2 fr.50. Mais il ne faut pas se plaindre à tort, le service de l’Intendance fonctionne régulièrement à part quelques très rares à-coup.

La viande est fraîche et bonne, néanmoins nous en sommes, en général, dégoûtés parce qu’elle manque de cuisson et qu’elle est mal préparée, ce qui nous provoque de la dysenterie.

Le plus terrible c’est le manque de sommeil et les nuits passées dehors au froid, au vent, à la pluie. Avant-hier au soir, Yétais de garde aux issues et comme il y avait beaucoup de mouvements de troupes, je suis resté de 7 heures du soir, à 3 heures du matin, les pieds dans la boue, sous la pluie glaciale, une lanterne à la main, pour écIairer deux tranchées afin que les convois et les hommes ne tombent pas dedans. Je n’étais pas en bel état certes, mais combien était plus triste le spectacle des malheureuses troupes qui passaient devant moi. Exténués, tous ces malheureux me demandaient la distance qui les séparait de leur cantonnement et si je n’ai pas répété plus de 1.000 fois : « Allons ! Les vieux plus qu’... kilomètre pour... Encore un peu de courage ». Les hommes du poste riaient de ma patience, quant à moi j’étais heureux de pouvoir leur dire un mot d’encouragement, ce qui n’empêche pas que si certains me disaient: « Ah ! Merci, pote, t’es un frère », d’autres me disaient... des sottises. Ceux-la, il est vrai, se faisaient rabrouer par leurs camarades.

- Aujourd’hui nous avons été rendre nos derniers devoirs à un malheureux petit sergent du 15è qui à été tué hier. Étant en reconnaissance, il à été blessé dans les reins et abandonné (à mon avis, à tort) par le chef de reconnaissance. Revenus en force pour le chercher, ils le trouvèrent entièrement nu et la boîte crânienne entièment défoncée à coups de crosse. Ce pauvre malheureux était affreux à voir. Quels bandits, quels sauvages que ces Allemands. Comment peuvent-ils avoir le cœur d’achever un malheureux blessé ?

Ne cause pas de cette mort à Mesdames G... R... et L... elles sont plutôt assez impressionnables et il est préférable que leurs maris leur en causent s’ils le jugent ainsi. Quant à moi je te sais assez forte pour te dire tout ce qui se passe ici et préfère que tu ne doutes jamais de l’authenticité de ce que je t’écris...

- Le temps me semble parfois bien long, déjà 51 jours que nous sommes séparés. Quand nous reverrons-nous tous ?

Voilà bientôt l’hiver et de quelle manière aurons-nous passé l’été ?

Acceptons ce sacrifice comme les autres.

- Je comprends combien Mère doit souffrir de ne pas recevoir de nouvelles de G..., nous aimant tous comme elle nous aime, ce doit être bien dur pour elle.

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24 septembre 1914.

 

J’ai commencé une longue lettre que je n’ai pu terminer. Je t’envoie cette carte afin que tu ne sois pas sans nouvelles. Ne t’inquiète pas, sois tranquille sur mon sort. Le beau temps à l’air de vouloir revenir. Ce dernier nous serait d’un grand secours car le froid et les atroces bourrasques de pluie que nous avons eus nous ont mis dans un piteux état. Le soleil nous serait d’un grand réconfort moralement et physiquement.

Soigne bien mes chers petiots, et dis-leur combien Papa pense à eux

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24 septembre 1914•

 

...Ici l’on se bat chaque jour, sans résultat bien appréciable. L’on cherche toujours, à mon avis, à les attirer sous le feu des forts, mais pas si bêtes, les Allemands ne s’y frottent pas. Du reste, nous aurons bien du mal à nous en débarrasser, surtout par ici. Ils ont un service d’espionnage parfaitement organisé et nous paierons cher la faute de ne pas les avoir surveillés et de nous être montrés trop tolérants (résultat de la politique radico-socialiste). Il y à quelques jours à Montfaucon, nous avons failli à 1/2 heure près, faire le Kronprinz prisonnier, mais averti de notre arrivée par le maire conseiller général Kremmer, celui-ci avait déguerpi. Kremmer à étéfusillé.

Hier à Fresnes, nous avons eu une batterie d’artillerie complètement décimée grâce aux renseignements et signaux faits par un pépiniériste Valentin, dont le fils est officier dans l’armée allemande. Il à été également fusillé. Ce matin, il à été arrêté un charron d’Hermeville qui traversait aussi facilement les lignes allemandes que les lignes françaises. Il apportait ici une selle et une lance d’uhlan et aux Allemands les renseignements qu’il avait recueillis. Il sera fusillé s’il ne l’est déjà. (Il ne l’est pas encore, il vient de passer, on le conduit à Verdun, pour passer devant la cour martiale).

À Braquis une femme à été prise faisant des signaux de la fenêtre aux avant-postes allemands et c’est ainsi tous les jours, et dire que ce réseau d’espionnage à ses ramifications dans toute la France.

Voilà où nous ont amenés nos chers députés en confiant le service de contre-espionnage à la Sûreté Générale.

Toutes les grosses fermes, par ici, étaient louées à prix d’or par des Allemands qui faisaient de l’espionnage et on les laissait sous prétexte qu’il était plus facile de surveiller les espions connus. N’eût-il pas été préférable de ne pas les tolérer ? Avions-nous donc si peur de Guillaume ? Il est vrai que la plupart de ces espions ont été arrêtés, dès le début des hostilités et passés par les armes, mais nous payons cher tous les renseignements qu’ils ont donnés et nous n’arrivons pas à sortir du réseau dont ils nous ont enserrés.

Ah ! Que de choses nous apprendra cette guerre, que de leçons à en tirer. Nous apprendrons alors ce que nous ont coûté le manque de discipline et les fameuses théories humanitaires, entr’autres le fameux recrutement régional.

Si l’on avait envoyé les gars de Marseille, Toulouse, Montauban et autres dans le Nord ou dans l’Est, ils sauraient que la France ne se termine pas à la Gascogne et à la Durance et nous ne les entendrions pas dire : « Mais pourquoi nous envoie-t-on ici défendre ce sale pays, chacun doit défendre ses frontières. » Leurs frontières à eux sont les Pyrénées et les Alpes. « Que diable voulez-vous que nous fassions ici, et la vindinge ».

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- Néanmoins ayons confiance, car nous défendons une cause juste et Dieu est des nôtres, mais redoublons de prières et supportons tous les sacrifices pour éviter que la libération du sol et la victoire ne nous coûtent trop cher.

- Si le beau temps veut continuer, il est probable que l’action va recommencer sur toute la ligne, car le vilain temps nous avait mis dans un piteux état et il est probable qu’il devait en être de même chez les Allemands.

Demandons à Dieu d’inspirer nos chefs, car nos ennemis sont tenaces et c’est une véritable défaite qu’il faut leur infliger pour les chasser de notre pauvre France. Puisse ce jour être proche.

 

25 septembre. - Hier, ces sales Boches ont reçu une véritable frottée, ce qui n’empêche pas qu’ils se représentent ce matin, il est vrai, jusqu’ici, avec un peu moins d’ardeur.

Mais comme les guerres sont changées ! L’infanterie, jadis reine des batailles n’est plus maintenant que de la chair à canon, il y à des régiments qui n’ont jamais vu les Allemands et qui n’en sont pas moins décimés du quart, du tiers ou de moitié.

Après cette guerre, il y aura certainement lieu de diminuer nos régiments d’infanterie, d’augmenter, par contre, considérablement notre artillerie et de créer des régiments entiers de mitrailleurs.

Q uant à la cavalerie, son rôle est considérablement diminué et je ne sais si dans cette guerre l’on en entendra beaucoup causer ; quant au génie, son rôle est également de plus en plus important.

- J’ai reçu une petite carte de Madeleine, qui m’a fait bien plaisir...

Par ta carte du 19, je vois que le temps te semble long, que dirais-je moi, qui suis seul, seul. Crois bien que j’aie hâte, moi aussi d’entendre sonner l’heure du retour, mais quand, quand sonnera-t-elle ?

Jusqu’ici les jours étaient longs, maintenant le soleil se lève tard et se couche tôt. Combien les veillées, sans lumière, vont nous paraître interminables.

 

 

 

26 septembre 1914.

 

J’ai reçu hier ta bonne lettre du 18. Soit, je suis toujours un peu autoritaire et pour la bonne cause. Si j’étais à Verdun même dans un bureau d’état-major quelconque, je t’aurais fait venir, il y à longtemps. Dans une ville, ta présence passerait inaperçue, mais ici, dans un trou sans auberge, abandonné de tous ses habitants, au milieu de toute cette soldatesque, j’aurais honte de t’y voir. Ce n’est pas ta place. De plus, toujours de droite et de gauohe, sans domicile fixe, dans un village qui peut être bombardé d’un moment à l’autre comment veux-tu qu’il me vienne à l’idée de t’encourager à faire cette folie. Je m’y oppose de toutes mes forces et je t’avoue que dans ces conditions je n’aurais aucun plaisir à te voir. Quand la paix sera signée oui, et encore, à mon avis, il vaut mieux attendre sagement mon retour à Sairit-Denis ou bien lorsque nous serons désormais à Laon, vous viendrez m’y chercher en auto. Oh ! alors, je serais vraiment heureux de te faire le signal...

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Le froid se fait sentir de plus en plus vif...

- Un petit fait qui vient de se produire et qui m’a fait le plus grand plaisir. Le lieutenant vient d’arriver, venant nous voir à la tranchée. Je suis entrain de t’écrire. J’offre au lieutenant une pipe de tabac et du chocolat qu’il accepte et il me dit : « Quel gentleman que ce sergent Jacqueau, il à tout dans son sac, tabac, chocolat, papier à lettres, etc... » Un homme de ma section : « Oui, et de plus il à la bonté qui est la meilleure des qualités. » Le lieutenant à acquiescé et dit : « Nous sommes tous unanimes à le reconnaître. » J’ai été absolument ahuri de la réflexion de cet homme qui m’a été droit au cœur. Je ne devrais peut être pas te le dire, mais crois bien que c’est sans orgueil et simplement pour te faire partager la satisfaction que j’en ai éprouvé. Du reste, ils sont bien gentils pour moi, toujours contents lorsqu’ils sont de service avec moi et pourtant je ne fais pour eux que ce que je dois faire, le premier devoir d’un chef, si petit que soit son grade, n’est-il pas d’être paternel.

Cette sympathie, dont je me sens entouré, même de mes supérieurs, m’est infiniment précieuse, mais je suis beaucoup plus sensible à celle de mes hommes avec lesquels je vis constamment et de la même vie.

- Mon lieutenant est très gentil pour moi, surtout depuis que nous avons été en reconnaissance. Je t’avoue que c’est dans ces circonstances que l’on s’apprécie surtout.

- Nous attendons la visite des boches, je crois que celle-ci ne se fera pas attendre. Visite forcée il est vrai, car l’on cherche à les rabattre sur nous. Espérons qu’ils vont mordre à l’hameçon. Quel plaisir on aurait à les recevoir et quelle réception !

 

 

 

28 septembre 1914.

 

Un petit mot, car je n’ai pas le temps de t’écrire plus longuement aujourd’hui.

Alerte depuis ce matin 2 heures. Hier, j’ai été en reconnaissance. Tout va bien, je me porte très bien, quoique le temps ait l’air de se fâcher de nouveau.

 

 

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